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Un espace dédié à la musique, à la littérature, à la science, à la conscience, et au-delà

Minh Tran Huy - Voyageur malgré lui

Un livre qui me faisait de l'oeil depuis longtemps dans les rayons du bouquiniste, je ne savais pas trop à quoi m'attendre quand j'ai finalement cédé à l'appel du Voyageur malgré lui de Minh Tran Huy. Eh bien, je n'ai pas été déçu par ce mélange d'histoire familiale d'exils d'un Viêt Nam en guerre et de références à d'autres types d'exils! Je suis fasciné par cette capacité des livres à nous plonger dans l'histoire, à lui redonner chair et vie, et à réussir à insuffler une compréhension un peu plus aiguë de notre propre histoire jusqu'à générer des émotions a posteriori. J'avais déjà vécu ce type de prise de conscience avec un autre livre formidable "L'art de perdre" d'Alice Zenniter qui nous replonge dans l'exil vers la France d'une minorité de harkis, partis une main devant, une main derrière, en 1962. Ou dans le magnifique "Club des incorrigibles optimistes" de Jean-Michel Guenassia. Ou dans le non moins magnifique "Trois femmes puissantes" de Marie Ndiayé. Liste non exhaustive.
Ce livre parle de la quête d'une fille née en France de parents viêtnamiens vis à vis de ses ancêtres, et de son père en premier lieu. Né à la campagne d'avant la guerre d'Indochine, il a connu la dure vie paysanne au coeur des rizières, l'affection pour un boeuf membre de la famille à part entière, puis l'avénement de la guerre, des clivages entre les communistes et les autres, la chute de Hanoï puis la chute de Saïgon, la résistance et la mort de son père et son grand-père, de son cousin, de son oncle, de son boeuf adoré, et la fuite dans la folie de son deuxième cousin. Puis l'exil en France, où ses études brillantes et son amour des sciences lui ont offert l'opportunité de partir. Exil temporaire qui est devenu définitif, avec les difficultés liées à une maîtrise imparfaite de la langue française, mais où il a eu l'opportunité de voyager grâce à son travail et d'offrir à ses enfants un train de vie que lui-même n'avait jamais connu. Ce père, obstinément taiseux, n'a que des silences denses à offrir en réponse aux questionnements de sa fille, tant il a refoulé cette souffrance accumulée dans les profondeurs de son inconscient. Silencieux, désireux d'oublier, au point d'en développer la maladie d'Alzeihmer.
Sa fille arrivera quand même à connecter les pointillés et à remplir les ellipses. Ne comprenant pas ses silences, elle est étonnée d'apprendre l'existence d'une maladie psychique rare: la dromomanie ou tourisme pathologique, et nous présente la biographie d'Albert Dadas, un homme qui avait le besoin impérieux de partir à pied visiter toutes les villes dont il entendait parler sans toutefois garder le moindre souvenir des trajets. Un autre type d'exil. Elle est aussi en résonance avec le parcours de l'athlète somalienne Samia Yusuf Omar qui s'est illustrée lors des JO de Londres à 17 ans en terminant 8ème de ses séries avec 8 secondes de retard sur les autres participantes. D'abord moquée pour sa performance, lorsque le grand public a eu vent de son parcours: père et oncle tués en pleine rue par un tir de mortier, elle se retrouve en charge de ses 5 frères et soeurs, va s'entraîner dans le stade de Mogadisio crevé de nids-de-poule quand celui-ci n'est pas occupé par des chefs de guerre de l'islamisme radical qui auraient le pouvoir de tuer cette femme qui ne respecte pas la charia. Après cette lumière tombée sur elle aux JO, elle retourne dans l'anonymat et mourra noyée trois ans plus tard en essayant de rejoindre l'Italie via la Libye sur un vieux rafiot tombé en panne. Une histoire qui fait écho à celle de la cousine de la protagoniste du livre qui a perdu son bébé mort de faim sur un boat people.
Ces histoires d'exil sont à chaque fois une accumulation de drames personnels, de coups du sort que peu d'entre nous connaissons, privilégiés que nous sommes de ne pas avoir vécu au coeur de la guerre, la vraie, la sale. Un livre qui plante en nous des graines d'empathie, pour comprendre un peu plus les histoires de réfugiés qui se multiplient, qui réhumanise les statistiques et notre regard sur ces "étrangers" malgré eux qui ont jalonné, jalonnent et jalonneront encore nos parcours de vie.
Minh Tran Huy - Voyageur malgré lui
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