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TélescoPages

Un espace dédié à la musique, à la littérature, à la science, à la conscience, et au-delà

Katharina Volckmer - Jewish Cock

Une mise en scène minimaliste, un huis clos. Une femme allemande dans la trentaine, vivant à l'étranger, qui se tient allongée, jambes écartées face à son chirurgien plastique, le docteur Seligman, médecin juif dégarni qui n'a "pas une once de glamour", en train de s'affairer sur elle avec ses petites mains tout en l'écoutant parler sans intervenir autrement que par des rires ou des questions sporadiques. La scène a tous les atours de la séance de psychanalyse freudienne, de la thérapie par la parole, sauf que le divan est gynécologique et que cette femme se met littéralement à poil. Et pour parler, cette femme va parler, mieux, elle va se livrer corps et âme. Il n'en faut pas plus pour situer Jewish Cock de la primoromancière Katharina Volckmer.

Jewish Cock est un long monologue du vagin, ou presque, à la nuance près que la narratrice ne s'est jamais particulièrement sentie femme et prend des hormones. C'est un "chat qui aboie" d'avoir fréquenté trop de chiens, qui souffre de ses identités multiples et du fardeau d'être issue du terreau du nazisme. Il est difficile de se faire aimer avec des manières d'homme dans un corps de femme hommasse. Un jour, une remarque déplacée d'un collègue de bureau lui fait littéralement péter un plomb - jusqu'à vouloir agrafer l'oreille dudit collègue à son bureau, ce qui lui vaut de devoir consulter Jason, un psychologue, puis d'être licenciée. Après avoir avoué ses fantasmes sexuels de soumission où elle se fait juive sous le joug d'un Hitler dominateur qui lui chatouille les parties intimes avec sa moustache, après lui avoir fait part des petits noms qu'elle invente à la bite du führer, et de ses difficultés à jouir sans faire le salut nazi, Jason la congédie avec un certificat de bonne santé mentale.

Le corps sait avant que l'esprit ne prenne conscience. C'est sa rencontre avec K, un peintre rencontré dans des toilettes d'hommes, qui l'acceptera telle qu'elle est, qui va être déterminante pour l'aider à s'assumer telle qu'elle est "scindée en deux versions d'elle-même", et à finalement consulter le docteur Seligman. Bien que juif, ce médecin l'écoute avec bienveillance et accueille dans le sourire ou le rire tout ce qu'elle a à dire, même sur l'holocauste, même quand elle parle des portraits de ses sept enfants à lui posés sur le bureau comme des petits nazis, même quand elle lui confesse que c'est un effort intellectuel pour elle que de voir un juif vivant.

Jewish Cock démarre tambour battant, volume à fond et ne baisse jamais en régime jusqu'à la dernière page. Il n'y a aucun temps mort, pas de respiration, la narratrice parle de tout ce qui lui passe par la tête, par associations d'idées, avec un humour corrosif où la provoc est omniprésente. En creux se dessine la personnalité d'une femme qui a peur du vide - et le vagin est pour elle un vide injuste - et qui veut remplir ces vides à tout prix. Evidemment, parler pour combler les silences, comme un barrage qui cède et libère les eaux contenues depuis l'enfance dans un tsunami de joie. Mais aussi faire des fellations à des inconnus dans les chiottes pour remplir sa bouche. En fin de compte, remplir en le réparant ce vagin perdu entre les "lèvres de la honte".

Katharina Volckmer enfile les digressions et les transgressions, ouvre des parenthèses qu'elle ne referme pas nécessairement, et ces enchaînements d'idées et de constats recèlent de véritables perles, des trouvailles qui font toute la force et la profondeur de Jewish Cock. Derrière les apparences légères, l'humour, la provocation, et le sexe résolument assumé, le roman aborde en premier lieu la thématique de l'identité sexuelle, de l'impossibilité de se faire aimer parce que, quand on ne s'aime pas soi-même, "laisser tomber quelqu'un amoureux de vous est à la fois irresponsable et inévitable". Il est aussi question entre les lignes du sentiment de culpabilité associé au fait d'être allemand, descendant d'une génération génocidaire qui naît avec un impensé à expier. Et il y a enfin les innombrables privilèges de la masculinité.

Jewish Cock va sans l'ombre d'un doute très rapidement intégrer la culture pop qui pourtant, selon l'auteure, n'aborde pas ces problématiques et de ce fait, n'est "pas si subversive que ça puisqu'elle doit pouvoir se vendre dans des endroits où les gens ne sont pas libres". Peut-être au fond que les thématiques abordées ne sont plus si subversives que ça. Il n'empêche qu'il y a là une opportunité de prise de conscience et rien que pour cela (et pour l'humour décalé un peu aussi), ce livre vaut largement le coup d'être lu.

Katharina Volckmer - Jewish Cock
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