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Carlo Rovelli - Et si le temps n'existait pas ?

De mon parcours universitaire à Nice Sophia Antipolis, je conserve un intérêt pour les mathématiques, les sciences physiques et la méthode scientifique (ainsi que le babyfoot, le billard et le flipper). Ce qui est drôle, c'est qu'à l'époque je n'étais alors pas véritablement intéressé par les sciences, mais je m'y étais inscrit par défaut, parce que je ne savais pas vraiment dans quelle branche m'orienter. Je savais vaguement que je voulais devenir ingénieur, j'étais plutôt bon en maths mais trop jeune pour partir tout seul à Paris dans l'école dont j'avais réussi le concours d'entrée. Je suis devenu informaticien mais ce passage de deux ans en filière scientifique a semé dans mon esprit des graines qui ont continué de germer tout au long de ma vie. J'avoue que je conserve un léger regret de n'avoir pas fait le choix de la recherche. Alors aujourd'hui, ayant conservé à peu près intacte ma curiosité de l'enfance, je lis avec beaucoup d'intérêt les travaux scientifiques qui touchent à la physique fondamentale, à la matière et à la conscience. Les mondes de l'infiniment grand et de l'infiniment petit sont une source de fascination pour moi et j'envie un peu ces chercheurs artistes qui sont à la pointe de leur domaine, ces jazzmen de leur discipline, comme Roger Penrose, Alain Aspect, Aurélien Barrau, Serge Haroche, Trin Xuan Thuan ou Anton Zeilinger. Et j'aime celles et ceux qui prennent la peine de rendre ces travaux accessibles au grand public, comme Sabine Hossenfelder ou Laurent Schafer. Et c'est justement par l'entremise d'Aurélien Barrau que je me suis intéressé au père de la théorie de la gravitation quantique à boucles: Carlo Rovelli à travers son livre Et si le temps n'existait pas ? Ce physicien italien est actuellement considéré par les cosmologistes comme un génie, et quand c'est Aurélien Barrau qui l'écrit, ça veut vraiment dire quelque chose pour moi.

Ce petit essai sert deux objectifs. D'une part, il s'agit d'une autobiographie du physicien de Bologne qui nous renseigne sur son parcours très atypique. D'autre part, c'est une introduction à cette théorie qui n'est pas d'un abord facile mais qui est en train de prendre le meilleur sur l'autre théorie censée unifier relativité et physique quantique: la fameuse (ou fumeuse pour certains) théorie des supercordes qui a mobilisé (et continue de mobiliser) des milliers de chercheurs pour finalement très peu de résultats concrets.

Concernant son parcours, Carlo Rovelli est un enfant qui grandit un peu à part, qui ne partage pas les valeurs carriéristes de ses pairs. Son ambition est d'abord de construire un monde plus juste. Il anime une radio libre, écrit un livre sur la révolution étudiante qui lui vaut d'être passé à tabac dans un commissariat, se passionne pour la philosophie mais suit des études universitaires en sciences par dépit, parce qu'il considère "les problèmes philosophiques comme trop importants pour qu'on en discute à l'école." Et puis il découvre la "nouvelle physique", celle du XXème siècle dont il tombe littéralement amoureux. C'est à cette période qu'il entend parler d'une première théorie de la gravité quantique qui tente d'établir un pont entre les deux grandes théories inconciliables d'Einstein et de Bohr. Dès lors, son chemin est tout tracé, il ambitionne de devenir l'homme de cette réconciliation, de relever le défi. Et ce chemin est aride, il est l'un des seuls à s'y atteler. Ses professeurs lui recommandent de travailler sur d'autres sujets. En bon rebelle qu'il est, cela ne fera que renforcer sa motivation. Il parcourt le monde, rencontre les quelques scientifiques qui font leur recherche sur cette thématique très risquée et pour laquelle il ne trouve pratiquement pas de financements. Ainsi financièrement, il arrive très vite aux limites de son rêve. Il vit de peu, se fait aider par son père, mais au plus difficile il reçoit un coup de fil pour un emploi de professeur à Pittsburgh aux Etats-Unis. Il y passera 10 ans, se passionnera pour la philosophie des sciences - le parallèle avec Aurélien Barrau est frappant - et sa carrière prendra enfin son envol. Constatant dans la durée que le style de vie à l'américaine ne lui convient pas vraiment, il rejoindra ensuite la France à Marseille où un poste lui est proposé à la direction de l'équipe de gravité quantique, et il y est toujours à l'heure actuelle.

Concernant sa théorie de gravitation quantique à boucles, Carlo Rovelli décrit le cheminement de sa pensée, la façon dont les lectures et les collaborations avec d'autres scientifiques ont façonné les équations et ont abouti à un modèle qui, contrairement à celui de la théorie des cordes, est testable. Et cette transparence est lumineuse. Le mythe du savant génial qui révolutionne le monde tout seul depuis son bureau en prend pour son grade: la science est un travail collaboratif. Certes, il y a bien des précurseurs, celles et ceux qui les premier.ère.s ont l'intuition et empruntent une nouvelle voie - comme Anaximandre pour lequel il éprouve une grande admiration. Mais ces précurseurs constituent rapidement une cordée si l'intuition initiale convainc d'autres chercheurs suffisamment téméraires pour s'affranchir des privilèges de la science normale académisée et prendre le risque de tenter la révolution telle que définie par Thomas Kuhn.

Allant jusqu'au bout de sa pensée, et constatant que la variable temps ne figure pas dans ses équations, Carlo Rovelli propose une interprétation de la gravité présentée comme un champ et dont le temps ne serait qu'une propriété émergente associée à l'entropie du système. A l'instar du haut et du bas qui sont des propriétés émergentes de la gravité, l'avant et l'après ne seraient que les conséquences du phénomène d'entropie: "La direction vers laquelle on observe que l'entropie augmente, nous l'appelons le temps. Et l'entropie fabrique le temps comme la chute fabrique le bas." C'est une vision vraiment très stimulante intellectuellement, qui est peut-être une clé de compréhension des distorsions du temps rapportées par les personnes qui vivent des expériences de mort imminente.

Et si le temps n'existait pas ? est un livre qui se lit très vite et permet de se plonger dans la réalité quotidienne d'un chercheur tout en apportant des éléments de compréhension à une théorie objectivement complexe. Et surtout, c'est l'illustration d'un parcours ikigai. L'étudiant rebelle, malgré les difficultés, a tracé sa route et s'est forgé un destin. J'ai beaucoup aimé !

Carlo Rovelli - Et si le temps n'existait pas ?
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