24 Décembre 2024
Voici un livre d'Aurélien Barrau d'avant son big bang médiatique sur l'écologie, publié en 2017 chez Dunod, où nous est accordée une fenêtre d'accès à son coeur de compétences, cet endroit singulier où relativité générale et physique quantique sont contraintes à une bataille à armes égales: les trous noirs. Au coeur des trous noirs se présente sous la forme d'un dialogue entre un maître, Héliogabale, et son élève, la jeune et brillante Hécate. Ces noms à la polysémie évocatrice qui rappellent la Grèce antique, ainsi que la forme du dialogue, qu'on dirait toutes deux empruntées à l'univers parallèle d'une Amélie Nothomb des débuts, impriment la patine du temps sur un sujet immémorial et passionnant, sur l'une des authentiques Anomalies cosmiques. Certes, il y a du solaire en ce maître en cosmologie qui rayonne la lumière de ses connaissances, mais cette élève est bien moins lunaire et passive que son nom ne le suggère. Non seulement elle ne se contente pas de renvoyer la lumière de l'astre autour duquel elle avance en cycloïdes, mais elle dévoile elle-même peu à peu sa nature stellaire à travers la pertinence de de ses questions. Bien sûr, Aurélien Barrau est le principe animateur de ces deux personnages, mais j'aime l'idée sous-jacente d'un passage de flambeau du Soleil à la Lune, comme une interaction bosonique empreinte de poésie. En tant que lect.rices.eurs, nous voici donc représenté.e.s par Hécate, une incarnation de notre part d'enfant curieux et insatiable.
Cette originalité de la forme sert un défi: celui de la transmission en termes (relativement) simples d'un sujet que l'on imagine d'autant plus complexe qu'il est le seul à mêler les anomalies de la relativité einsteinienne à celles de la physique quantique. Trou noir = anomalies au carré. Et le défi est relevé avec brio. Nous apprenons à travers des images accessibles la nature des trous noirs, leurs propriétés selon qu'ils sont immobiles ou tourbillonnants, leur action sur les corps qui orbitent dans les environs, leur effet de marée, ce qui se passe à leur horizon, ce qu'un humain verrait s'il traversait cet horizon, la façon dont les trous noirs restituent de l'énergie notamment par le biais des rayonnements de Hawking, la possibilité des trous de ver et des trous blancs. Et surtout sont présentées quelques ébauches de théories concurrentes à l'étude, qui ne sont pas encore démontrées, et dont la quantité montre qu'en fin de compte, nous ne connaissons pas grand chose de ces astres très particuliers, inaccessibles en soi et qui n'existent que par leurs effets. Oh, et cette interprétation de la plus célèbre équation de la physique E = mc2 envisagée comme une façon de fabriquer de l'être avec de l'avoir !
Au passage, Aurélien Barrau égratigne (déjà) notre mode de vie collectif de prédation à notre environnement en invitant "en ces temps d'échec civilisationnel" à "accueillir les rapports au monde alternatifs avec appétence et bienveillance". On voit poindre l'auteur qui deux ans plus tard va prendre une dimension médiatique éclatante avec Le plus grand défi de l'histoire de l'humanité et devenir le porte-drapeau voyou et tout en éloquence d'une nouvelle génération d'ingénieurs et de scientifiques qui ont une vision systémique de notre monde industriel et les outils mathématiques pour prouver que nous allons tout droit dans le mur. Tout en ayant l'humilité de reconnaître les limites de la science: "Penser en scientifique, c'est choisir ses approximations" et ne pas sous-estimer la multiplicité de la vérité qui n'est pas toujours "l'accord entre ce qui est énoncé et le réel en lui-même". Un doute sain pour une lecture qui ouvre des portes à la connaissance et au poétique. Finalement, il n'est peut-être pas si vrai que rien ne ressort d'un trou noir une fois passé leur horizon. Sur le plan des idées au moins, on peut en ressortir grandi.e.s !