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TélescoPages

Un espace dédié à la musique, à la littérature, à la science, à la conscience, et au-delà

Mona Chollet - Résister à la culpabilisation

Le monde intérieur de Mona Chollet est constitué de nombreuses injonctions. À être comme à faire. Des injonctions souvent contradictoires qui constituent un authentique ennemi intérieur qu'il est absolument nécessaire d'identifier afin d'en analyser ensuite les modes opératoires de la contagion et du travail de sape. Tout en identifiant également dans quelle mesure ces injonctions sont partagées par d'autres qu'elle. Cette étude qui mêle psychologie et sociologie s'appelle la déconstruction. Il s'agit en premier lieu de nommer, parce que ce qui ne porte pas de nom n'existe pas dans nos consciences. Une fois nommés ces concepts, il devient possible d'en comprendre les causes et les effets.

Parmi les injonctions citées par Mona Chollet se positionnent pêle-mêle :

  • la performance
  • le fait d'incarner une femme idéale: ni trop apprêtée, ni trop négligée, ni trop grosse, ni trop mince, sans rides, avec les bonnes mensurations, active, souriante, sensuelle, en bonne santé, en pleine forme, toujours disposée à faire l'amour, à la fois salope et sainte, soignante, bienveillante, présente mais effacée...
  • devenir mère, allaiter exclusivement, donner le biberon, aimer inconditionnellement le fait d'être mère (parce que c'est instinctif n'est-ce-pas ?), sans perdre sa poitrine, sans vergetures

La liste est bien évidemment non exhaustive, ce serait trop simple ! Ces exemples d'injonctions sont cette petite voix intérieure qui sans cesse pose ses jugements: "Ce n'est pas possible d'être aussi conne !", "Mais arrête, tu vas l'effrayer, tu vas le faire fuir !" (à propos de l'homme qu'elle aime), "Ce nouveau livre ne va pas s'écrire tout seul !". Quoi qu'elle fasse, il y a toujours cette petite voix qui la fait culpabiliser, et qui va même jusqu'à la faire culpabiliser de culpabiliser ("Quelle nullité et quelle indécence de s'inventer des problèmes dans des conditions de vie aussi confortables !").

Résister à la culpabilisation - Sur quelques empêchements d'exister, paru en octobre 2024 aux éditions La Découverte, est la continuité logique des essais précédents de Mona Chollet comme Sorcières ou Réinventer l'amour. Après avoir exploré en profondeur la place de la femme dans le patriarcat et l'asymétrie des rapports hommes-femmes, il s'agit maintenant d'aller au fond de ce que la psychanalyse nomme introjection, c'est-à-dire l'assimilation essentiellement inconsciente des modèles et contraintes extérieures, y compris et en particulier de ce qui s'avère toxique sur le long terme, qui empêchent d'exister pleinement. Mona Chollet va s'attarder sur quelques piliers et conséquences du patriarcat:

  • la notion de pêché originel et son impact sur la place de la femme
  • les violences sexuelles
  • les violences éducatives
  • le rapport au travail avec son exigence d'efficience
  • la reproduction de ces modes opératoires dans le militantisme féministe

Cette enquête à la fois très vivante et sérieuse, en écriture inclusive, mêle des éléments autobiographiques et de nombreuses références sociologiques ou littéraires. C'est un peu la patte de Mona Chollet, qui fait que j'apprécie particulièrement son travail et ses points de vue. De fait, cette approche qui confine à l'académique ne s'attarde pas dans les concepts abstraits, bien au contraire. C'est ce qui nous permet, en tant que lect.rices.eurs, de reconnaître ce que nous partageons concrètement de ces expériences et de ces constats, de ces humiliations distillées au quotidien à travers l'image de la femme "idéale" dopée à la retouche Photoshop, aux influenceuses et maintenant à l'IA, qui nous est renvoyée continuellement à travers les écrans, de cette éducation normatrice et castratrice qui dispense elle aussi généreusement ses humiliations à ces individus qui agrandissent l'écart-type des gaussiennes.

La plupart des sociétés - si ce n'est toutes - envisagent l'éducation comme une forme de réplication du présent, où sont formés des petits soldats dont la mission sera de perpétuer le modèle de sorte qu'il reste en équilibre. C'est l'autopoïèse. Or quand cette société est modelée par les contraintes de la concurrence commerciale, de la compétition et de la guerre, entretenues par les puissants de ce monde, la pression est forte pour polariser tout un chacun dans le flux du fonctionnel qui se fait presque toujours contre les aspirations individuelles et au détriment de l'épanouissement personnel. L'omniprésence et l'efficacité technologiques font que les injonctions sont plus puissantes que jamais. Je pense à ces nouveaux humains au pouvoir (essentiellement des hommes), des entrepreneurs comme Elon Musk pour qui l'employé idéal n'a pas de vie personnelle, des politiques comme Emmanuel Macron qui dorment moins de 5 heures par nuit et qui n'imaginent pas qu'il puisse en être autrement, à ces religieux qui confondent spiritualité et guerres de civilisation. Des leaders taillés pour des guerres que d'autres combattent pour eux mais qui créent des cohortes de laissé.e.s-pour-compte dans leur sillage délétère. Je pense à l'omniprésence du porno en ligne qui en 25 ans a standardisé la sexualité pour en filtrer la dimension amour et n'en garder que la dimension plaisir. Dans un monde aussi brutal et face à toutes ces injonctions, il est tellement facile de faillir. Mais plutôt que d'en ressentir de la culpabilité, ne pourrions-nous pas au contraire en ressentir une certaine fierté ? Après tout, comme le disait l'un de mes philosophes préférés, Jiddu Krishnamurti"Ce n'est pas un signe de bonne santé mentale d'être bien adapté à une société malade."

Nous ne sommes pas des machines ! À l'instar des écrits qui posent un constat lucide sur le monde, ses polarités et sur ses forces en mouvement, tout en proposant des contre-modèles plus respectueux non seulement de l'humain dans toute sa variété mais surtout du vivant, les écrits de Mona Chollet sont plus que bienvenus. Ils sont nécessaires car, comme elle, "Quelque chose me dit que, en effet, nous allons en avoir besoin."

Mona Chollet - Résister à la culpabilisation
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