26 Juillet 2022
Il fut un temps où il était acceptable pour un écrivain dans la petite quarantaine de déclarer "les deux êtres les plus sensuels que j'aie connus de ma vie sont un garçon de douze ans et une fille de quinze".
Il fut un temps où il était acceptable pour un écrivain de se vanter auprès de ses pairs d'avoir des rapports sexuels avec des enfants de huit ans aux Philippines alors que lui-même affichait une bonne cinquantaine.
Il fut un temps où il était acceptable pour un écrivain de développer une oeuvre ouvertement pédophile et d'être publié chez des maisons d'édition aussi prestigieuses que Gallimard, Julliard, Stock ou La Table Ronde.
Il fut un temps où il était acceptable d'être invité six fois dans la plus grande émission littéraire française pour y exprimer sa passion irrépressible pour les jeunes adolescentes sous l'oeil gourmand, complice, complaisant, concupiscent et envieux du maître de cérémonie et de ses invité.e.s.
Il fut un temps, tandis que tombaient les tours jumelles à New York, où le journal Le Monde prenait la défense d'un homme défini comme l'initiateur des filles intelligentes au plaisir, confirmant cette position huit ans plus tard, suivi par d'autres médias comme Libération, Le Figaro ou encore Paris Première.
Il fut un temps jusqu'à cet hiver 2020 où se revendiquer pédéraste au sens de pédophile de 30 à 80 ans était la marque d'un esprit rebelle en lutte contre une société coincée dans un "moralisme de plus en plus sourcilleux", contre un "néopuritanisme conquérant". Une sorte de chevalier blanc en somme. Un chevalier à la lance rose.
Je suis né dans les années 1970, ce temps où la pédérastie était un style de vie ou une posture encore socialement acceptable pour une part non négligeable de la société, où elle était mise en scène dans différents secteurs de la culture française et revendiquée par nombre d'artistes jusqu'à la fin des années 2010. Je suis aujourd'hui le père de deux enfants de 7 et 10 ans, qui ont donc l'âge des enfants philippins avec qui l'écrivain en question prétendait s'éclater sexuellement, exportant à l'autre bout du monde, sans doute porté par un élan philanthropique à la française (ou plus exactement philopédique), son goût de la transmission aux enfants de "la joie d'être initiés au plaisir, seule éducation sexuelle qui ne soit pas une foutaise". Des ébats entre personnes consentantes, cela va de soi. Quand je pense à ces enfants qui ont l'âge des miens, c'est de l'effroi que je ressens.
En janvier 2020 paraît Le consentement, un livre témoignage de l'une des victimes de ce fer de lance de la prédation sexuelle pédophile qui déclarait au Monde en 1974 que "la chasse aux gosses doit demeurer un sport périlleux, et défendu". Et ce livre fait l'effet d'une bombe tandis que ressortent les images de l'INA de l'émission Apostrophes où en 1990 paradait intouchable l'écrivain séducteur joueur de flûte de Hamelin. Après des années de complaisance, de détournement de regards face aux victimes des détournements de mineur.e, la société semble enfin résonner empathiquement avec ces jeunes filles victimes des complaisances de leur époque. Son auteure, Vanessa Springora, a 14 ans au moment où elle tombe sous le charme de G. Abandonnée par son père, avec une mère absente, fascinée par la littérature, tous les ingrédients sont réunis pour faire d'elle la prochaine proie de l'écrivain serial consommateur de jeunes filles en fleurs, alors cinquantenaire.
Sitôt l'enfance terminée, commence alors la période de l'emprise où l'écrivain se livre à toutes ses fantaisies sur elle, profitant de son aura littéraire et de l'ascendant qu'il exerce de plus en plus. Dans ces années 90 pré-Dutroux, il est encore très largement intouchable et les policiers qui viennent un jour lui rendre visite sur base de lettre de dénonciation de faits de pédophilie ne remarqueront même pas (ou feindront de ne pas remarquer) la jeune fille de 14 ans qui est à ses côtés. Lors de cette fameuse émission d'Apostrophes où le romancier se fait attaquer frontalement par la journaliste canadienne Denise Bombardier, il conserve son calme et l'on apprend qu'après l'émission, il présente Vanessa Springora à tout le monde sans la moindre réaction de désapprobation.
C'est la lecture des journaux de G. où il parle de ses périples aux Philippines avec force détails crus sur ses ébats avec des enfants qui va installer la graine du dégoût et entamer le processus de "déprise". "Le sortilège se dissipe." L'auteure commence à poser des questions, trop de questions. G., sur la défensive, va documenter cette fin d'histoire à sa façon dans un journal qui sera publié. Et se lancera dans une nouvelle histoire avec une autre collégienne. De son côté, l'auteure va parvenir à quitter G. et lorsqu'elle en informera sa mère, celle-ci lui répondra: "Le pauvre, tu es sûre ? Il t'adore!"
La vie a de ces ironies parfois! Vanessa Springora est aujourd'hui directrice de ces mêmes éditions Julliard qui ont publié l'un des livres pédophiles de G. au temps où cela était encore acceptable. Et c'est à l'écrivain célèbre de se retrouver à son tour enfermé dans un livre à défaut de l'être dans une cellule de prison. Grâce à ce livre, les temps ont changé, le regard n'est plus à la concupiscence. Même si G. n'a jamais payé le prix fort pour ses actes, plus personne ne se risquerait désormais à afficher ouvertement son attirance pour des enfants, plus personne ne trouverait cette perversion cool et ce style de vie enviable. Il est - je l'espère - acquis que le consentement sexuel n'est pas une notion accessible aux enfants, grâce en soit rendue à Françoise Dolto et à l'auteure. Quant au livre Le consentement, il fait partie de cette classe restreinte d'ouvrages pour lesquels il y a un avant et un après.
Il est désormais un temps où cette perversité n'est enfin plus acceptable!
"Le consentement", Vanessa Springora
Au milieu des années 80, élevée par une mère divorcée, V. comble par la lecture le vide laissé par un père aux abonnés absents. À treize ans, dans un dîner, elle rencontre G., un écrivai...