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Un espace dédié à la musique, à la littérature, à la science, à la conscience, et au-delà

Cécile Coulon - En l'absence du capitaine

En l'espace d'une année, Cécile Coulon est devenue la figure de proue emblématique de la poésie en France. Avec "ce corps fragile, ce foin de chevelure et ces trous dans les joues", une solide dose d'humour et de répartie, ainsi qu'une quinzaine d'ouvrages publiés dans différents registres (fiction, poésie, nouvelles, et même un petit éloge du running!), elle est désormais l'auteure contemporaine française la plus lue au rayon poésie. Avec plusieurs prix à son palmarès, présidente de plusieurs salons littéraires, l'auteure de 31 ans a subi le feu de Frédéric Beigbeder dans la tribune du Figaro à l'occasion de la sortie de Seule en sa demeure, à la rentrée de septembre 2021, comme un bizutage de l'establishment en signe certain de reconnaissance! On peut dire qu'avec ce savant mélange de talent, de communication et de look, c'est un parcours absolument sans faute, du moins en ce qui concerne l'accueil du grand public. Cécile Coulon vit de son écriture, ça dit quelque chose du succès qu'elle rencontre désormais.

Le recueil En l'absence du capitaine, paru en mars 2022, fait suite à la disparition le 1er mai 2021, "un jour de muguet, un jour de fête", de sa grand-mère, son phare dans la nuit depuis l'enfance, son "professeur", son capitaine de vie. On y découvre l'impact du deuil d'une personne cardinale, avec les mots de la poésie. Alors c'est intime, forcément. Cécile Coulon s'expose, nous parle des émotions qui la traversent, la transpercent, et se replonge dans ses souvenirs. Je ne peux m'empêcher de penser à Elizabeth Kübler-Ross, cette psychiatre à l'origine des cinq étapes au deuil. Or, si la dépression et l'acceptation sont bien représentées dans ce recueil, nulle trace de colère, de déni, ou de marchandage dans ces textes de douleur et de renaissance. Dans la ruralité de l'auteure, la mort fait partie intégrante de la vie: "Je sais bien que la vie est ainsi, pour qu'elle continue, il faut que d'autres s'en aillent" alors elle l'accepte, et elle pleure: "on ne meurt pas de chagrin, on meurt d'être encore là."

En l'absence du capitaine nous offre le portrait de cette grand-mère corrézienne forte, confidente, bienveillante, "pirate" qui reçoit les plaies de sa petite fille, et l'abreuve d'histoires et de conseils en retour, jusqu'au bout de sa longue vie de "presque cent années empilées sur ce corps de campagne". Et cette simplicité qui tient en une phrase: "Il faut se taire et être là - le reste n'est pas bien important." Avec soixante années d'écart, Cécile Coulon fait le constat d'une certaine impuissance: "Je t'aime tant sans savoir comment t'aimer autrement." D'amour, il est très largement question. Pour cette merveilleuse grand-mère d'abord. Mais pas seulement. Il est aussi largement question de cette femme qui partage ses jours et ses nuits dans ce monde d'après. De cette femme qui finira elle aussi par s'éloigner, ajoutant une cicatrice au coeur. Au deuil de sa capitaine succède le deuil d'une relation amoureuse. Mais, bien qu'il filtre un peu de colère à travers les mots, après "trente années de vives blessures", l'auteure semble avoir atteint une certaine sérénité et accueille avec une gratitude décuplée les douceurs et les beautés qui se présentent à elle pour la soigner.

Cécile Coulon - En l'absence du capitaine

Naturaliste, d'une simplicité désarmante, je dirais même enfantine, Cécile Coulon se présente sans les effets de manche du style. "Ce que j'ai, ce sont des mots si simples qui se cognent dans ma bouche." Des mots à l'amour contagieux pour les paysages de ce massif si central à son oeuvre, avec lesquels elle communie pour y puiser la force du sol, dans lesquels elle évacue les trop-plein, un gisement inépuisable de beauté brute qu'elle restitue en poèmes et en récits au temps lent. "Il faut avec des mots très simples tenter trois gestes fous: avouer - rejoindre - aimer." Alors, elle se contentera de laisser couler le flot au rythme des anaphores.

"Tout continuera autrement. Avec les mêmes larmes dans d'autres yeux." Mais avec moins de passé et un peu moins de futur. Mais avec moins d'océan et moins de loin. Ces yeux au bleu de gris sont issus de la génétique du sol, ils sont les petits-enfants de ces montagnes qui sont belles et qui faisaient des centenaires à ne plus que savoir en faire, avec de lignes de vie jusque sur le front. A force de méditations, Cécile Coulon devient le paysage, devient le chien, se transcende dans les puys, leurs rivières et leurs habitants. Ce n'est ni plus ni moins qu'une expérience de vie imminente.

Ces yeux aux bleu de gris se feront yeux d'or à l'heure de clôturer ce touchant journal intime. Après les deuils, ils regarderont de nouveau devant, vides d'attentes, mais emplis d'espoir. Le nous devient double je. Désormais, la capitaine, ce sera elle.

Cécile Coulon - En l'absence du capitaine
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