9 Février 2022
Ce n'est pas peu dire que je m'intéresse à la conscience et aux phénomènes qui y sont associés. Le sujet me passionne littéralement. A une époque où le matérialisme est à son comble, où l'être humain en surnombre exploite jusqu'à la lie les ressources de la planète, où la satisfaction des besoins individuels fait de nous des junkies à la dopamine, je vois dans le domaine de la conscience la possibilité de découvertes révolutionnaires, capables ni plus ni moins de changer le logiciel (et donc le destin) de l'humanité. Longtemps, la peur de la mort a été le carburant des religions et la source de légendes promues au rang de vérités. Longtemps, l'être humain s'est satisfait de la foi mass-market et des réponses proposées par les théologiens de toutes obédiences aux questions philosophiques et sociétales. Mais depuis le renouveau des philosophes, depuis l'avancée de la science, de la médecine et des technologies, depuis que l'éducation est accessible au plus grand nombre, les religions ont pris des volées de plomb dans l'aile. Aujourd'hui, une grande partie du monde a remplacé la réassurance des réponses dogmatiques par la distraction offerte par les technologies et par l'hypercommunication. Mais cette distraction vient avec une facture de plus en plus élevée en termes d'impacts sur l'environnement et de névroses. L'être humain est en train de découvrir à ses frais (et surtout aux frais de l'équilibre écologique) que le vide existentiel ne se comble pas par le matériel. Nous prenons également peu à peu conscience que notre boulimie matérielle ne pourra plus durer encore longtemps à ce rythme exponentiel. Il va donc nous falloir trouver autre chose. Et de mon point de vue, cette autre chose se passe au niveau de la conscience.
Le premier livre de Sébastien Auffroy, intitulé La paix finale aborde le dur problème de la conscience sous l'angle des expériences de mort imminente (E.M.I.). A la lecture de la bibliographie, on prend très vite conscience que l'auteur a énormément lu sur le sujet, depuis les classiques jusqu'aux ouvrages plus récents. Mais, il a surtout lu et analysé des milliers de témoignages détaillés d'EMI, en complétant par la lecture de publications scientifiques, y compris les plus récentes. Et le résultat est assez impressionnant. Bien au-delà du catalogue de récits anecdotiques, il s'agit là d'un état des lieux détaillé de l'état de l'art en matière de recherche sur la nature de la conscience. L'approche transversale, systématique et multidisciplinaire de l'auteur apporte un regard nouveau sur la question, qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler le travail de la journaliste Miriam Gablier compilé dans Les mystères de la conscience. L'auteur partage avec elle une vision du monde qui n'est ni moniste matérialiste, ni complètement dualiste, mais qui se situerait dans un entre-deux sous forme d'un monisme étendu. C'est suffisamment rare pour être noté. Cela étant, Sébastien Auffroy tient compte de la théorie de la décohérence quantique et se risque même à proposer une théorie de la réalité fondamentale qui étend le modèle standard de la physique pour lui adjoindre une partie permettant d'expliquer les phénomènes de conscience et les E.M.I. Celle-ci attribue aux bosons une qualité intrinsèque nouvelle: celle d'être des vecteurs d'interaction entre la conscience pure et le monde physique.
Pour être tout à fait honnête, je dois reconnaître que le chapitre qui décrit cette physique nouvelle ne m'a pas convaincu. L'idée de base de l'interaction bosonique est séduisante et mériterait d'être creusée dans le cadre d'expériences scientifiques. Bien entendu, l'interaction bosonique en question résulterait en l'existence d'une cinquième force fondamentale jamais détectée, ce qui en soi est peut-être suffisant pour tuer cette nouvelle théorie dans l'oeuf. Sauf erreur de ma part, cette conséquence n'est indiquée nulle part. Ainsi, s'il est tout à fait légitime de faire reposer des hypothèses sur le corpus scientifique existant, les choses se compliquent lorsque l'on superpose des hypothèses sur d'autres hypothèses: trop de spéculation amène à la pseudo-science et il me semble que Sébastien Auffroy tombe dans ce travers. Ça ne signifie pas que ce qui est affirmé est faux, mais le contenu est si hautement spéculatif et le modèle sans équations, qu'il est impossible de l'utiliser pour en faire la moindre prédiction.
En fin de compte, je ressors mitigé de la lecture de La paix finale. C'est, d'un côté, un excellent travail journalistique de compilation de témoignages et de vulgarisation scientifique. Mais, d'un autre côté, le caractère pseudo-scientifique et hautement spéculatif de la partie plus technique m'a très clairement rebuté. Autant il est possible de faire un bon travail d'analyse sur base d'analyse d'un corpus de documents (ce qui rentre a priori dans le cadre des compétences de l'auteur titulaire d'une licence en psychologie sociale), autant je suis persuadé que l'on ne s'improvise pas physicien théorique, surtout quand il s'agit d'apporter des innovations dans le domaine.