1 Novembre 2021
En octobre 2021, soit 17 ans après Hunt For The Skinwalker, qui décrivait un ranch isolé au milieu de l'Utah où se produisaient quantités de phénomènes non expliqués (ovnis, saskwatch, poltergeists, orbs...), le journaliste George Knapp et le biochimiste Colm Kelleher, accompagnés de James Lacatski, remettent le couvert dans Skinwalkers At The Pentagon. On y retrouve le magnat américain de l'immobilier et du spatial, Robert Bigelow, dans la continuité de ce qu'il avait entrepris dans le cadre de la fondation NIDS (National Institute for Discovery Science) qu'il avait financée de 1995 à 2004 pour étudier les phénomènes de ce ranch acquis en 1996 pour une poignée de dollars. Ces recherches n'avaient alors pas abouti à des publications, les phénomènes en question étant élusifs à l'extrême, à tel point qu'il était sérieusement envisagé qu'ils soient causés par une intelligence qui ne souhaite pas être observée. A l'époque pourtant, l'intégralité des scientifiques sur place et Robert Bigelow en étaient convaincus: ces phénomènes, que la science n'était pas encore en mesure d'expliquer, étaient bien réels. Le livre nous laissait donc à la fois sur ce constat de demi-échec et sur cette conviction intime.
Avance rapide. En décembre 2017 paraît un article du New-York Times, Glowing Auras and Black Money - The Pentagon's Mysterious UFO program qui fait l'effet d'une bombe dans le grand public. On y apprend en effet que l'état américain a investi $22 millions dans un programme secret (AATIP) actif de 2007 à 2012, via un marché attribué à Robert Bigelow. Le but de ce programme était ni plus ni moins que l'étude scientifique des ovnis. En même temps que l'article sont diffusées trois vidéos d'ovnis filmés depuis des avions de chasse de la Navy (de 2004 et de 2015) qui d'abord virales, sont depuis devenues des mèmes. S'ensuivent d'autres articles, toujours du New-York Times, où l'un des sénateurs ayant financé le projet parle d'objets qui ne sont pas terrestres. Le clou de la déstigmatisation est enfoncé. Le processus de divulgation (disclosure en anglais) peut commencer. C'est d'abord le responsable du programme AATIP, Lue Elizondo, tout juste démissionnaire de son poste au Pentagone, mais toujours sous serment qui multiplie les interviews sur les grandes chaînes, tandis que de son côté, le vidéaste et journaliste, Jeremy Corbell, diffuse des documents fuités du (puis reconnus authentiques par le) Pentagone où l'on peut voir une escouade d'objets volants non identifiés en vidéo, sur radar, en lunettes de vision nocturne, en imagerie infrarouge, sous les yeux médusés des soldats. C'est aussi le moment que choisit le commandant David Fravor (pilote de Hornet issu de l'école Top Gun) pour multiplier lui aussi les interviews et décrire comment il a pris en chasse l'un de ces objets en 2004 (incident du Nimitz). Le radariste, lui aussi issu de la Top Gun, témoigne également ainsi que 4 autres militaires qui étaient présents et témoins ce jour-là. Après quelques mois, ce sont deux autres pilotes qui témoignent et accréditent le récit de David Trevor. S'ensuivent les déclarations d'autres pilotes en activité et à visage découvert qui disent être témoins de ces phénomènes au quotidien depuis deux ans. L'ufomania bat son plein aux Etats-Unis. Deux présidents (Bill Clinton et Barack Obama) en parlent eux aussi de façon très sérieuse. Désormais, le phénomène est étudié dans le cadre de l'UAPTF (Unidentified Aerial Phenomena Task Force), une commission sénatoriale qui est tout ce qu'il y a de de plus officiel. Mais étrangement, l'onde de choc ne traverse pas l'Atlantique et en France, le phénomène est essentiellement ignoré et toujours moqué.
Skinwalkers At The Pentagon est le livre qui décrit en détail et de l'intérieur le processus qui a amené trois sénateurs (dont Harry Reid, le leader du Sénat de 2007 à 2015) à débloquer des fonds du Département de la Défense pour les allouer au programme AAWSAP, qui a permis de financer une équipe du BAASS (Bigelow Aerospace Advanced Space Studies) dans des recherches, notamment au ranch Skinwalker. Les deux co-auteurs de George Knapp ne sont autres que les directeurs techniques du programme qui a reçu 22 millions de dollars de 2009 à 2012. Et cette fois-ci, ces fonds ont permis de mettre en place la base de données la plus complète à ce jour du phénomène ovni. Des dizaines de publications scientifiques ont ainsi vu le jour sur des thématiques aussi surprenantes que les métamatériaux, l'anti-gravité, l'extraction d'énergie à partir du vide, la propulsion à fusion aneutronique, ou la propulsion à masse négative.
On y apprend que contrairement à ce qui a été publié par le New-York Times, le programme AATIP n'a pas été financé par AAWSAP, mais que c'est bel et bien un autre programme secret du Pentagone, motivé entre autres par l'incident du Nimitz, mais toujours sponsorisé par Harry Reid.
Ce livre, validé par le Département de la Défense, est une mine d'or factuelle, tellement factuelle que sa lecture très fournie en acronymes en est rendue un peu aride. Sans doute que la déstigmatisation est à ce prix, car il faut faire preuve de beaucoup plus de sérieux que la moyenne dans ce domaine qui regorge de gens qui ont désespérément envie de croire.
En 2016, Robert Bigelow a revendu le ranch a un autre magnat de l'immobilier de l'Utah, Brandon Fugall, qui a pris le relais dans ces recherches. Désormais, il s'intéresse aux phénomènes de conscience et en particulier à la survivance de la conscience après la mort. Toujours dans le cadre d'une fondation, la BICS (Bigelow Institute for Consciousness Studies) qui vient le 1er novembre de publier la liste des 29 gagnants d'un concours international doté de 1.8 millions de dollars. La recherche peut continuer, la science a peut-être une chance de faire des découvertes insolites, tandis que Skinwalker Ranch et ses mystères peuplent plus que jamais l'imaginaire populaire. Une légende est née.