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Un espace dédié à la musique, à la littérature, à la science, à la conscience, et au-delà

Belinda Cannone - La forme du monde

Depuis le début des années 2000, l’auteure et essayiste Belinda Cannone écrit sur les sentiments profonds, explorant notamment le désir, la contemplation, mais aussi l’émerveillement. L'essai littéraire La forme du monde s’inscrit dans cette démarche, mais dans un registre où on n’attend pas nécessairement son auteure: celui de la marche et de la montagne. À l'initiative de Fabrice Lardreau, directeur de la collection Versant Intime chez Arthaud dédié au rapport qu'entretiennent les écrivains illustres avec la nature, on découvre le rapport étroit qu'entretient l'auteure entre marche en montagne et travail d'écriture.

Belinda Cannone a fait sa première rencontre avec la montagne à l’âge de dix-sept ans, enfin plus exactement avec les Alpes. Et ce fut une révélation. Bien plus que le Massif Central, plus central que massif, dont elle a exploré les entrailles plus jeune. Bien plus que cette Méditerranée pourtant épicentrale à sa vie, à laquelle elle semblait vouée, elle qui est née en Tunisie d'un père sicilien et d'une mère corse, et qui a grandi à Marseille. Avec leur surrection et leur majesté, les Alpes renvoient le temps et l'espace humains dans leurs cordes mesquines en aspirant l’auteure "vers le haut dans une respiration plus ample ". Elles l'aspirent. Elles l’inspirent. Contrairement à la mer que l'on emprunte toujours en vue d'aller quelque part, la montagne ne mène nulle part ailleurs qu’à soi-même.

Belinda Cannone en quête perpétuelle de légèreté, de grâce, de facilité et de danse, pratique le tango depuis les années 2000, qui - et ce n'est pas un hasard - est une marche. "Danser en marchant, marcher en dansant". Désormais, le chromatisme entre danse et marche est établi, et cette marche de montagne qui est une épreuve désirée, une contemplation active, un purgatoire magnifique, peut enfin s'inscrire dans une démarche artistique à part entière. Là où pour se relier à la nature, certains se contentent d'étreindre des arbres centenaires, Belinda Cannone a besoin des montagnes alpines et de leurs millions d’années qu’elle embrasse d'une seule étreinte. Ainsi, elle est en mesure de se relier à sa propre nature d'écrivain, dans ce qui est peut-être le plus authentique sens du mot religion, puisant dans la sève des montagnes la persévérance et arpentant d'un pas décidé les chemins de la transcendance. Comme l'avaient fait avant elle Simone de Beauvoir (dont j'ignorais qu'elle fut en son temps et à ce point une marcheuse infatigable et intrépide), Marlen Haushofer, et Jean Giono, avec qui elle se reconnaît un lien de parenté, celui des chemins de crête et dont elle partage et commente dans cet ouvrage de longs extraits d'une oeuvre reliée à la montagne.

"Le marcheur est un être pensif". L’alpiniste est lui "tout entier concentré sur la difficulté à vaincre". Et ce n'est pas la même chose. "Dans l'alpinisme on peut perdre la vie. Dans la littérature, si lente et requérant tant de temps, on peut dilapider sa vie." En opposition à l'alpinisme, la randonnée apporte "un état flottant qui, quoique incluant l'effort, reste assez doux et régulier pour que [l']esprit soit libre de vagabonder." L'écriture a besoin de rêverie, de baguenaudage, de vagabondage, de silence, d'isolement et de beauté pour s'émerveiller. Ainsi elle peut être féconde.

Ce n'est pas si souvent que les écrivain.e.s ouvrent la porte sur l'intimité de leur processus d'écriture. La forme du monde est précisément cela, un essai sur ce qui vient nourrir la créativité. Car les auteur.e.s, avant d'être émouvants, sont émus. Avant d'être portés aux nues, ce sont d'abord des êtres humains sensibles, qui ont compris que de la nature à leur nature, tout n'est qu'une question de pas à faire l'un après l'autre. L'écriture est une randonnée au coeur des Alpes. Sans aucun doute.

Belinda Cannone - La forme du monde
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