1 Octobre 2021
J'avais lu il y a quelques années le journal témoignage d'Etty Hillesum, Une vie bouleversée. Ecrit à la première personne du singulier entre 1941 et 1943, il décrit le quotidien d'une femme hollandaise incroyablement en avance sur son temps, qui ne rentre pas dans les critères de l'aryanisme nazi, puisque juive sur le papier, et qui de ce simple et absurde fait, va peu à peu voir ses libertés se réduire à la portion congrue dans le contexte de la seconde guerre mondiale et des déportations. Ce n'est pas divulgâcher que d'annoncer dès le départ que ce journal est interrompu et que l'histoire ne se terminera pas bien. Cela rappelle évidemment sa jeune compatriote Anne Frank (elles auraient pu se rencontrer au camp de Westerbork à quelques mois près), à la différence près qu'Etty Hillesum avait 27 ans, avait beaucoup lu, ce qui lui confère une profondeur et une érudition qu'Anne Frank n'a malheureusement pas eu l'opportunité de connaître dans sa courte vie. Les deux jeunes femmes partageront ainsi le même destin: la déportation, la mort dans les camps, la publication posthume et la postérité.
Ce qui caractérise Etty Hillesum, c'est avant tout qu'elle est profondément libre. C'est même à sa façon une précurseure du féminisme. Très loin du modèle de la femme soumise vivant au service domestique de son mari et dont la fonction principale est de fabriquer des héritiers, elle collectionne les amants, vit l'amour sous la forme de l'union libre ou de l'amitié amoureuse, lit beaucoup, notamment les références de la psychologie de son temps (Freud, Adler, mais surtout Jung), vit dans un contexte agnostique, fréquente un chirologue, Jasper Spier, et son cercle qui va s'avérer central pour la suite de sa vie intérieure. A leur façon, Etty Hillesum et son mentor/amant - à qui elle s'adresse d'égal à égal - ont inventé le développement personnel. Puisque l'on ne peut pas changer le monde extérieur, alors autant consacrer son énergie à la transformation intérieure en espérant que cela rejaillisse, en commençant par faire la rencontre de cet inconnu omniscient qui vit en chacun d'entre nous.
Ce livre aurait pu s'intituler Journal d'une métamorphose, parce que c'est bien de cela qu'il s'agit: en l'espace de deux ans et quelques mois, forgée par le tragique des événements, la jeune femme, qui se pose des questions séculières centrées sur elle-même, va passer de l'éros à l'agapè, pour acquérir une profondeur et une spiritualité adogmatique qui feront d'elle une personne lumineuse en toutes circonstances, animée par la quête du bonheur, de l'absolu, par le don de soi, et allant jusqu'à choisir d'accompagner ses compagnons de souffrance à la mort alors qu'elle avait la possibilité d'en réchapper en jouant la carte individualiste. Un an avant elle, le pédiatre Janusz Korczak avait lui aussi montré une grandeur d'âme équivalente en accompagnant les 200 enfants de son orphelinat à la mort à Treblinka. On n'est pas loin du film de Roberto Benigni "La vie est belle". Dans le contexte des humiliations quotidiennes et du sadisme nazi, la bienveillance et la nécessité de pardonner qu'elle porte haut sont mises à rude épreuve, mais elle arrive à conserver sa philosophie de vie. Etty Hillesum est l'illustration parfaite que c'est sous la pression et à haute température que le charbon se fait diamant.
Dans Etty Hillesum, une voix dans la nuit, l'écrivaine Cécilia Dutter fait un travail d'historienne en recontextualisant les textes, puis d'analyste en offrant son regard extérieur sur le matériau brut de ce journal. Le texte original était ponctué d'ellipses, l'auteure remplit les vides et approfondit les portraits des personnes (j'ai failli dire personnages) au générique de cette histoire incroyable. Les chapitres suivent la chronologie, et correspondent à des étapes dans le cheminement spirituel d'Etty Hillesum qui, tout à coup, devient beaucoup plus clair. Ses forces et ses failles sont nommées, elle n'est pas idéalisée: c'est le portrait d'une humaine d'exception qui est fait à travers le regard contemporain, admiratif et discret de Cécilia Dutter. Le lecteur que je suis, également très impressionné par le parcours de vie d'Etty Hillesum, a apprécié le fait de revivre cette histoire en étant accompagné cette fois, de reprendre un bain de lumière, d'entendre de nouveau le son très vivant et joyeux de cette voix, alors qu'il me semble que la nuit n'est de nouveau pas très loin.
Etty Hillesum - Éditions Tallandier
Au cœur des Pays-Bas occupés, une voix s'élève face à la barbarie nazie. Cette voix est celle d'Etty Hillesum, jeune femme juive, dont le journal intime et la correspondance attestent d'une ...