C’est le deuxième livre que je lis sur la question des effets des écrans sur le cerveau des enfants et sur leur développement. Celui-ci, La fabrique du crétin digital de Michel Desmurget, publié en septembre 2019, a nécessité 3 ans d’écriture et fait un état des lieux pratiquement exhaustif des connaissances scientifiques en la matière (1.600 références bibliographiques !). Et le constat est plus qu’alarmant: il est accablant. Il y a là un consensus sur l’impact néfaste qu’ont tous les types d’écrans, que ce soit au niveau des contenus que des contenants, sur les principes cardinaux de l’éducation que sont l’attention, la mémoire, la patience, le sommeil et la persévérance.
L’un des messages forts de ce livre, que l’on retrouve autrement dans les pédagogies Montessori ou Céline Alvarez, c’est que la période avant l’âge de 6 ans est déterminante pour la suite. Ce qui est perdu à ce moment-là ne peut plus être rattrapé! Cette période serait donc celle où une exposition zéro aux écrans serait idéale. Les études convergent sur le fait que le cerveau réagit aux vrais stimuli interactifs, c’est de cette façon que l’on apprend le mieux. Or tout concourt dans notre société à encourager la surexposition dès le plus jeune âge. En moyenne, les enfants passent 2h45 devant des écrans à l’âge de deux ans, 4h45 entre 8 et 12 ans et 6h45 entre 13 et 18 ans. Non seulement ce temps est perdu, mais il entraîne des effets néfastes : moins de vocabulaire, plus de violence et d’impulsivité, moins de sommeil, plus d’obésité, moins de capacité de concentration...
Le mythe des applications éducatives qui peuvent à terme pallier le manque de profs ou faire mieux que les profs incompétents vole en éclats. La meilleure des apps éducatives offre de moins bons résultats que les moins compétents des profs. Il est également démontré qu’investir dans 50 heures de formation d’un prof à la pédagogie entraîne des meilleurs résultats durables au sein des classes. C’est-à-dire que la politique en faveur des TICE va dans le sens exactement contraire des objectifs affichés. À tel point que l’auteur, sur base de témoignage d’un ministre, ne se demande pas s’il n’y a pas là une volonté délibérée de fabriquer de mauvais élèves qui au final coûteront moins cher à l’état et fausseront les statistiques du chômage. Les études scientifiques sont tellement nombreuses et concordantes que ce questionnement ne me paraît pas illégitime sous des apparences provocatrices.
Un autre mythe vole en éclats : celui du native digital. Toutes les études montrent que les pratiques digitales dès le plus jeune âge ne sont pas transposables à la vie réelle. Et que notre cerveau qui évolue très lentement depuis 20.000 ans n’est toujours pas capable de magiquement gérer efficacement le multitâche et les sollicitations multiples. Souscrire à cette croyance revient à sacrifier une génération sur l’autel du mercantilisme, dont les tenants sont les premiers à inscrire leurs propres enfants dans des écoles sans écrans et avec des profs triés sur le volet. On n’est plus très loin de retour au meilleur des mondes avec les individus gammas se satisfaisant de leur esclavage tandis que les alphas surnagent dans la société.
Le première partie du livre est consacrée à la chaîne de la communication scientifique, depuis les études jusqu’aux débats entre partisans et opposants. Et en particulier, l’auteur analyse comment le consensus scientifique est transformé artificiellement via les "experts" qualifiés issus des entreprises du digital pour laisser croire qu’il y a débat. Il explique les classements des revues scientifiques en 6 catégories : depuis les plus prestigieuses qui font très attention à la véracité des publications, jusqu’à celles où il suffit de payer pour être publié. Et de montrer que les journalistes sont pour la très grande majorité incapables de discerner entre ces catégories, ou bien prêts à relayer toute publication iconoclaste qui va augmenter les ventes ou plaire aux annonceurs acteurs économiques du système. Et les réseaux sociaux font le reste avec ces articles que personne ne lit mais que beaucoup relaient sur base du titre.
La manipulation rappelle ce qui était en place dans les années 50 avec les cigaretiers qui faisaient la promotion du tabac via la publicité tandis qu’au même moment, les articles scientifiques prévenaient des risques de cancers. Idem avec les fabricants d’alcool et de produits gras et sucrés. Aujourd’hui, la promotion se fait via le placement de produit dans les films et les séries, et donc touche de plein fouet la génération connectée pour qui la clope et l’alcool sont valorisés et cool, et de fait adoptent des comportements dangereux pour leur santé (y compris en matière de prévention MST et de violence).
Je me suis toujours demandé comment faisaient les anciens pour avoir autant de culture avec si peu d’accès à la culture. Je crois que je tiens des éléments de réponse. Ils n’étaient pas dérangés dans leur concentration et ils lisaient beaucoup au format papier. Tout simplement.
Une lecture que je recommande ardemment !! Parents, vous aimez vos enfants, alors éteignez la télé et vos portables, et racontez-leur des histoires le soir, achetez-leur des livres et des bandes dessinées, faites-les dessiner, peindre, sculpter, jouer aux légos, laissez-les s’ennuyer, sortez vous promener, faites du vélo avec eux, ou si vous le pouvez, pratiquez la musique ensemble. Interagissez pour de vrai avec eux. Ne cédez pas à l’appel des sirènes de l’écran nounou!