Les mégafeux sont un phénomène qui a vu le jour à l'aube des années 2000, mais qui connaît une explosion depuis 3 ans. Ces feux ont une particularité qui les différencie des feux "traditionnels": ils ne sont pas maîtrisables par des moyens humains, et c'est généralement la pluie ou la pénurie de combustible qui marque leur fin. L'Australie est le dernier territoire en date à avoir connu cette catastrophe, mais on peut citer la forêt brésilienne, la Sibérie, la Californie, le Portugal, le Canada, qui à chaque fois font les unes des journaux, provoquent indignations et colères devant l'étendue des dégâts et contribuent par là même à faire prendre conscience qu'un dérèglement est en cours. Ces feux touchent même des régions inhabituelles comme la Suède ou le Groenland.
Les mégafeux font l'objet du dernier livre de la philosophe Joëlle Zask, Quand la forêt brûle - Penser la nouvelle catastrophe écologique sorti en août 2019, non pas pour en chercher les causes les plus probables via une approche scientifique (ce à quoi je m'attendais), mais plutôt pour étudier le rapport qu'en tant qu'espèce humaine nous entretenons avec la nature. Ce n'est pas tant l'impact que ces feux d'un nouveau genre produisent sur l'équilibre écologique, notamment par la libération de CO2 dans l'atmosphère et de suies qui voyagent parfois jusqu'aux pôles, qui est étudié ici, mais l'impact sur la nature telle que vécue par l'homme. Tantôt idéalisée, tantôt décor de vie, tantôt ennemie à soumettre, la nature devient environnement à la proximité de l'humain, c'est-à-dire qu'il lui est demandé de s'adapter à nos besoins croissants.
D'abord phénomène naturel rare, le feu s'est démocratisé avec sa domestication par l'homme préhistorique, puis via la culture du brûlis quand il s'est sédentarisé. À tel point que la nature s'est adaptée: certaines espèces d'arbres comme le chêne liège ont développé une écorce résistante au feu. Les pratiques humaines ont ainsi longtemps pu être absorbées par la nature et intégrées dans des cycles, au point d'envisager d'intituler pyrocène cette sous-période de l'anthropocène. Mais la démesure de l'industrialisation qui s'est produite sur un temps très court à l'échelle historique est en train de changer la donne: il y a désormais retour de feu si j'ose dire.
Les forêts sont essentiellement considérées comme un moyen de produire du bois. De fait, certaines essences sont privilégiées et d'autres sont éliminées ou confinées. Cette disparition de la variété des essences produit une fragilisation des écosystèmes. Conjointement, le réchauffement climatique contribue à assécher les plantes et à rendre le tout plus inflammable qu'avant. L'omniprésence de l'être humain dans les zones rurales et forestières fait qu'il est de plus en plus probable qu'un départ de feu ait lieu absolument n'importe où, que ce soit pour des raisons criminelles (pour toucher l'assurance, pour rendre une zone verte habitable, par vengeance, par vandalisme) ou accidentelles. Il résulte de tout cela un cercle vicieux où la fragilisation de la nature accélère la fragilisation de la nature, et de fait celle de l'être humain qui en dépend.
Non seulement un mégafeu est une catastrophe écologique mais l'impact psychologique est puissant: c'est littéralement un effacement de mémoire qui est produit, la fin des paysages qui nous ont vu grandir... Et les terroristes en tous genres l'ont bien compris: cette abomination très peu coûteuse est de plus en plus mentionnée comme une arme de guerre.
D'un point de vue subjectif, je dois admettre que j'ai trouvé la lecture de ce livre particulièrement laborieuse. D'une part, il n'est pas particulièrement question de science ici, l'auteur ne rentre pas dans le détail des causes et encore moins dans la formulation de solutions possibles, d'autre part, je trouve le sujet abordé de façon beaucoup trop anthropocentrée à mon goût. Les mégafeux provoquent la mort de millions d'animaux, et parfois comme en témoignent les feux en Australie de fin 2019, plus d'un milliard et l'auteur se plaît à développer sur l'impact de la disparition des paysages sur l'imaginaire humain. Qui plus est, le tout reste assez académique et abstrait, avec une prise de distance qui laisse peu de place à l'émotionnel et n'invite pas particulièrement réagir. Une froideur paradoxale étant donné le sujet traité...