14 Septembre 2021
Cette rentrée littéraire est très marquée par la thématique de l'empreinte du père. Après Sorj Chalandon, Marc Dugain, et Amélie Nothomb, je me suis embarqué dans un autre voyage à travers la transmission paternelle, celui d'Emmanuelle Lambert et de son livre, Le garçon de mon père.
Dès le début, il flotte comme un parfum des derniers jours d'un condamné. Car ce père est en phase terminale d'un cancer qui aura pris exactement neuf mois pour le faire "accoucher de sa mort" en ce beau matin du 20 septembre 2019, tandis que sa fille accouchait dans l'urgence d'un essai sur Jean Giono où planait son ombre, essai qu'elle voulait à tout prix que son père lise. Six jours à vivre encore exactement. Six chapitres donc. Qui verront peu à peu les souvenirs anciens prendre toute la place laissée par cette vie qui recule. Qui redonneront souffle à cette voix qui a perdu son timbre jusqu'au mutisme. Qui rendront chair à ce titan réduit à une simple "carcasse". Au fur et à mesure de l'approche de la mort, le récit s'abstrait du présent pour se nourrir des flashbacks, tandis que la poésie et le lyrisme s'installent.
Ce père est un ancien soixante-huitard idéaliste qui a troqué ses utopies hippies contre une participation à la société informatisée. Fou de sport, de vitesse, preneur de risque, c'est de son vivant l'incarnation même d'un trompe-la-mort, grillant allègrement les feux rouges, poussant sa voiture à sa limite de 220 km/h sur les grands axes, zigzaguant à travers le trafic, parlant fort, dévalant les pistes noires en ligne droite pour pallier son manque de technique. Paradoxalement, la souffrance chez les autres le fait défaillir. Boulimique de livres, et on l'apprendra plus tard, d'autres femmes que la sienne, il porte en haute estime la littérature et refuse de s'abaisser à laisser lire la littérature jeunesse à ses deux filles car "il faut arrêter de prendre les enfants pour des cons." Lorsqu'après trente ans de mariage, sa femme, lasse de ses incartades, décide de le quitter, il se remariera avec "l'épouse" qui a le même âge que l'auteure et qui lui insufflera un peu de sa jeunesse jusqu'aux derniers moments.
Cet appétit de vie, on le devine entre les lignes, ne vient pas de nulle part. Il y a d'abord cette faille identitaire car il est le fruit des amours adultères de sa mère. Puis il y a cet abandon maternel quand il est encore petit garçon. "L'enfance désolée s'accroche à leurs corps comme l'embryon mort à son double." L'enfant irrémédiablement triste continuera toute sa vie à exister sous le costume de l'adulte joyeux, volubile et excessif. Et Emmanuelle Lambert sera le réceptacle de cette enfance joyeuse à côté de laquelle il est passé, elle sera le garçon que son père n'a pas été.
Magali sa fille cadette l'a immortalisé pendant l'un de ses derniers sommeils à travers la photographie qu'elle exerce professionnellement. Emmanuelle, à travers la littérature, passion commune avec son père, a projeté le film de sa vie. Pour le fils de l'auteure, "Il est mort mais ce n'est pas grave ?" Ce n'est pas si grave en effet puisqu'il paraît que l'on ne meurt pas vraiment tant que l'on continue à exister dans les pensées d'un vivant.
" Ce livre n'est pas un livre de deuil. Le deuil, c'est après. [...] La vivacité du présent. Celle du sentiment. La trace que nous laissons aux autres. Ces particules de temps et d'affection mê...
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