La foi comme un refuge névrotique, c’est comme cela qu’il faut envisager les trois ans qu’Emmanuel Carrère a consacrés jeune adulte au catholicisme. Un catholicisme d’exégèse, qui se vit comme l’incarnation de la doctrine de Jésus telle qu’elle est présentée dans les 4 évangiles du nouveau testament. Un catholicisme que l’on pourrait qualifier d’intégriste, qui est décrit dans le détail sur la foi de son journal intime qui recense minutieusement les textes étudiés, les questionnements et les réponses du moment. Une anamnèse littéralement.
C’est ainsi que débute Le royaume, le livre d’Emmanuel Carrère paru en 2014. Et cette première partie est tout simplement hallucinante aux yeux de l’agnostique que je suis, fascinante même. Je ne m’explique pas qu’un homme intelligent, cultivé et historien de formation se soit jeté à corps perdu dans la religion catholique autrement que par décompensation névrotique. Trois ans de plongée, trois ans de vie du Christ documentés, c’est cohérent. Puis Emmanuel Carrère a quitté cet univers pour ne plus regarder derrière, jusqu’à ce livre. Un passé qu’il revisite avec un regard d’historien, avec une virtuosité certaine, du recul et de l’humour. Et un peu d’imagination.
Emmanuel Carrère s’évertue à replacer les épîtres, les évangiles et même l’apocalypse dans le contexte historique. C’est un vrai travail d’enquête, de profiler même. On découvre les humains derrière ces noms désincarnés à force de vénération. Jésus n’est pas le personnage principal, c’est surtout de Saul/Paul qu’il est question puis des évangélistes Marc, Luc, Matthieu et Jean. On découvre les rivalités avec les différents courants juifs dans le contexte de la Judée occupée par les Romains juste avant la chute de Jérusalem, avec les influences grecques et phéniciennes. On est surpris des rivalités entre apôtres, entre évangélistes, et vis à vis de Luc, le seul goy de l’équipe mais le meilleur storyteller d’entre eux. Paul se révèle comme le premier startupper de l’histoire. On n’est pas loin de Life of Brian par moments.
Personnellement, j’ai l’impression d’avoir appris beaucoup de ce livre, d’en ressortir enrichi. Le royaume, c’est de l’histoire vivante, chaude, humaine sans être romancé comme du Max Gallo, sans céder à la facilité parce que tout cela est très complexe finalement, mais sans se perdre dans l’académisme. De la gonzo-histoire sans doute. Au final, une invitation à l’humilité.