Beauté

Il y a une beauté puissante qui rend l’œil captif de ses milliards de scintillements, comme un avant-goût des paradis froids. Cette beauté fragile et fugitive n’appartient à personne, pas même à la pupille qui est traversée. Elle est prêtée. À l’animal qui se fait traces, à l’homme qui se fait trajectoire. Elle est lit du vent, mer de nuages, roche qui affleure. Il y a une certaine naïveté à croire apprivoisée cette beauté d’avant les yeux, elle qui nous survivra, qui passera outre les guerres et les turpitudes, au-delà des caprices de notre temporalité. Chaque jour se dévoile une feuille à estampes vierge, où nous imprimerons nos dessins d’enfants, où nous rayerons son écume, que la nuit marée haute effacera, inlassable. Ces lignes de crête, jadis foulées par mon grand-père maternel quand, à peine sorti de l’enfance, il rejoint le maquis puis l’armée régulière pour rejoindre Berlin à pied parmi ses camarades aux fortunes diverses, je les emprunte à mon tour, mesquinement, avec pour seul risque la mauvaise chute. Mais je devine sous ses flancs ornés de cicatrices la beauté qui gronde et qui devient tsunami pour l’œil soudain privé de paupière. Je me laisse alors engloutir, que cette majesté soit mon tombeau aujourd’hui !