Anne Tuffigo - Il suffit parfois d'un signe

Ce mois de décembre dernier, j'ai eu une période où je me suis intéressé de près à la médium Anne Tuffigo. Pour tout dire, je la trouve assez fascinante, à plein d'égards. D'une part, son parcours singulier est à lui seul très intéressant. Issue d'une famille normande, son parcours scolaire et universitaire est néanmoins exemplaire, l'amenant à rejoindre Hypokhâgne et Khâgne au Lycée Henri IV à Paris, puis la Sorbonne où elle obtient une agrégation en lettres modernes. En parallèle, elle suit des cours de danse jusqu'à un niveau élevé mais sa taille joue contre elle, et elle doit abandonner la filière classique, pour se concentrer sur une carrière balisée et prestigieuse de professeure de lettres et de conférencière. Anne Tuffigo a tout de l'enfant surdouée. Bibliophage et ne partageant pas les mêmes centres d'intérêt que les enfants de son âge, elle acquiert très vite une maturité et une autonomie qui lui assurent une indépendance d'esprit indéniable.

D'autre part, et c'est pour cela qu'elle est désormais devenue une personnalité publique, sa capacité de médiumnité se révèle très tôt, dès l'âge de huit ans. D'abord effrayée par ces entités qui se manifestent à elle, et livrée à elle-même dans le contexte d'une famille nihiliste et cartésienne, elle y revient dans sa petite vingtaine, par l'intermédiaire de son mentor Michel Rigolt, un médium qui anime des séances en public à Paris. Très vite, Anne Tuffigo prend le relais. Cette double-vie, d'abord cachée, l'amène ensuite à faire sa reconversion de façon officielle alors qu'elle a 30 ans et à ouvrir son cabinet de médium. Mais ce n'est pas une médium comme on se les représente. Très loin des clichés de la bohémienne ou de la mystique délirante new age, très ancrée, on peut la voir comme une incarnation de la puissance féminine.

Auteure d'une autobiographie Ces âmes qui guident nos pas publiée en 2018 qui la fait connaître du grand public, elle renouvelle l'expérience en 2021 avec un deuxième ouvrage Il suffit parfois d'un signe paru chez Abin Michel. Et c'est ici qu'un autre point m'impressionne assez chez elle: le livre est très bien écrit. On sent ici l'agrégée de littérature qui non seulement n'a rien perdu de ses compétences, mais les enrichit de son expérience. A mi-chemin entre l'autobiographie et l'essai, l'académisme n'est pas loin, prêt à se mettre au service de son sujet, sans la froideur habituelle, et c'est un aspect que je trouve personnellement très agréable. Et rassurant. L'ancrage, toujours.

C'est rassurant parce que le sujet du livre - rêves, signes, et synchronicités - a tout pour autoriser les envolées loin des territoires de la rigueur intellectuelle. Mais on sent qu'Anne Tuffigo a pris le temps de réfléchir à toutes ces questions, et que même si beaucoup des théories proposées sont relativement invérifiables, un certain sens se dégage de toute cela. Concernant les signes, elle joue sur la polysémie du mot et établit un parallèle avec la sémiotique et la linguistique. Pour elle, les signes répondent à une dialectique, entre l'invisible et le manifesté. Ils obéissent aussi à une dichotomie entre signifiant et signifié (et le référent), une dichotomie pertinente pour la personne à qui le signe est destiné. Anne Tuffigo part du principe que les consciences de l'Au-Delà qui passent des messages dans le manifesté connaissent intimement la carte sémiotique des destinataires. Ainsi, à propos d'un signe, "au moment où vous le recevez, il résonne par son alignement parfait et vous touche en plein coeur parce qu'il correspond exactement à ce que vous n'étiez pas venu chercher, c'est-à-dire à une manifestation de vos interrogations ou de vos doutes intérieurs." C'est même sa caractéristique principale: il interpelle !

Puis, c'est au tour des synchronicités théorisées par Carl Gustav Jung d'être décortiquées, et c'est l'occasion d'introduire le concept de l'Unus Mundus, le monde du non manifesté, un monde hors de la dualité, hors de l'espace-temps, peuplé de consciences tantôt qualifiées d'anges, de guides, à l'origine de ces communications porteuses de sens mais hors du champ scientifique. Des êtres qui n'hésitent pas à l'occasion à se manifester à travers l'écriture automatique, à travers l'inspiration artistique, les rêves, les perceptions médiumniques, la transcommunication instrumentale, voire même à prendre chair et sang quand la communication est vraiment importante. Chacune des explications théoriques est assortie d'un exemple à la première personne, du concret qui ajoute à la pédagogie de l'ouvrage.

Il suffit parfois d'un signe décrit un monde gorgé de conscience, prégnant de sens. Bien sûr, ce modèle relève de la théorie, et il ne semble pas réfutable, ce qui l'éloigne de la science selon les critères de l'épistémologie. Mais justement, la science décrit le monde physique, celui de l'espace-temps. Confinée au manifesté, elle peine à modéliser ce qui se cache au-delà, le monde de l'inquantifiable, de l'incommensurable. C'est alors le rôle de la poésie de prendre le relais comme langage de l'Unus Mundus, de l'univers implié de David Bohm et ce n'est pas étonnant qu'il y ait autant de poésie dans les manifestations, signes et synchronicités. Ce n'est pas étonnant que l'inspiration des artistes soit dense d'une information en avance sur ces médiums d'un genre particulier.

Ce livre est véritablement très bien écrit. A mon sens, il apporte des clés de compréhension à ces événements du quotidien qui se cachent en marge de l'inaperçu, mais possiblement vecteurs d'information pour leurs seuls destinataires. Mais si Anne Tuffigo propose, les lect.rices.eurs disposent. Pour moi qui porte un intérêt particulier aux phénomènes des marges, à ce que des psychologues chercheurs comme Renaud Evrard classent au sein de l'anomalistique, Il suffit parfois d'un signe a été une très belle expérience de lecture. A tel point que j'ai enchaîné avec plusieurs interviews et conférences qu'elle a données récemment, qui m'ont confirmé que décidément, Anne Tuffigo est une personnalité fascinante.