16 Février 2024
Voilà quelque temps que je baigne dans les récits d'expériences de mort imminente, embarqué dans une aventure cinématographique, journalistique et scientifique que je n'aurais jamais pu anticiper, imaginer ou prévoir. Une aventure dont j'aurais seulement pu me contenter de rêver s'il n'y avait pas ce destin facétieux... Si ces récits d'EMI me fascinent en raison du monde élargi qu'ils nous proposent d'envisager en lieu et place de la matière renfermée sur elle-même et confinée dans un espace-temps sans issue, ils sont avant tout les vecteurs d'un message profondément important, celui de la toute-puissance de l'amour.
En effet, s'il y a une leçon que je retiens de ma plongée dans les expériences de mort imminente, c'est qu'une partie des personnes qui vivent une expérience profonde se retrouvent parfois lors de leur revue de vie mis en présence d'une entité puissante, lumineuse et infiniment bienveillante, qui leur pose une unique question: "Comment as-tu aimé ?" Et la projection du film rétrospectif sur l'écran transcendant permet à peu près toujours d'y répondre. Et ce n'est jamais flatteur ou complaisant, seulement factuel. Les expérienceur.euse.s ont accès à l'impact émotionnel de leurs actions sur les autres. C'est alors qu'elles se rendent compte des dégâts qu'elles ont faits autour d'elles. Je n'ai jusqu'à présent jamais lu le moindre témoignage où la personne qui a vécu cette phase de revue de vie en ressort avec autre chose qu'un immense sentiment de honte, de culpabilité, voire de gâchis. Et ce jugement n'émane de personne d'autre qu'elle-même. Il y a là à mon sens quelque chose de fondamental. "Comment as-tu aimé ?" C'est un peu comme s'il s'agissait de mettre l'accent sur la seule question qui mérite d'être posée.
Cette expérience se joue du temps, des cultures, des religions et de l'athéisme et c'est ce qui me laisse penser qu'elle a quelque chose d'objectivement universel. Quand la revue de vie se présente et que la question est posée, la prise de conscience est implacable, prégnante et marque l'âme au fer rouge d'une honte supérieure. Nous avons toutes et tous mal aimé. Nous avons toutes et tous généré de la souffrance évitable. Nous avons toutes et tous fait du mal en toute connaissance de cause. Par vengeance, par haine, par jalousie, par peur, par envie, par "amour". Moins souvent par sadisme ou par pure méchanceté assumée. Nous avons toutes et tous des justifications à fournir pour le mal qui est fait, dès le plus jeune âge. A commencer par le fameux "C'est lui qui a commencé". Oeil pour oeil.
Il y a quelque chose d'assez automatique dans ce comportement, quelque chose de programmé. Le plus souvent, ça ne dépasse pas le cadre de notre environnement direct. Nous nous considérons à peu près toutes et tous comme des honnêtes gens. Et pourtant... Grâce à Hannah Arendt, nous avons pris conscience que le diable se cache dans les micro-abdications quotidiennes face à un sens moral, qui n'est certes pas universel, mais d'où émerge généralement l'idée qu'il est négatif de faire du mal à autrui. Si les religions et philosophies religieuses ont quelque chose en commun, c'est bien cela. Or, l'histoire nous montre que les plus gros génocides sont commis avec la complicité déresponsabilisée de nombreux petits fonctionnaires anonymes qui ne font que leur travail. Des bons pères et de bonnes mères de famille. Les monstres n'existent pas. Une histoire qui se répète. Il suffit pour s'en rendre compte d'écouter les informations en cette période féconde en échauffements et en peurs. Ad nauseam...
"Comment as-tu aimé ?" est une question d'une simplicité désarmante, presqu'enfantine, qui replace l'église au milieu du village, qui remet l'amour au sommet des priorités. La banalité du mal se combat au quotidien. Et en premier lieu, elle se combat en soi. N'attendons pas d'être mort.e.s pour en prendre conscience. Écoutons les expérienceur.euse.s ! Posons-nous la question chaque jour, à chaque interaction, à chaque action impactante. Est-ce réellement l'amour qui nous motive ? Chaque soir, avant de nous endormir, faisons une revue de journée plutôt qu'une revue de vie. Et ressentons ce petit pincement au coeur quotidien à chaque occasion manquée d'aimer, de sourire à cette personne triste, d'aider telle personne en difficulté, de parler à cette personne seule, de sauver un animal blessé, de dire à ses enfants, à ses proches, qu'on les aime. A chaque cynisme, à chaque jugement, à chaque jalousie, à chaque vengeance. Oui, ce n'est pas facile.
Si je suis un jour confronté à cette question, je sais que je ne la ramènerai pas trop. J'ai déjà tellement merdé dans mes relations. Mais j'espère pouvoir répondre que j'ai fait de mon mieux avec mes moyens limités, que j'ai essayé de relayer le message d'amour dans un monde de souffrance où règnent la compétition, la peur et la colère, que j'ai cultivé un peu d'empathie dans mon jardin secret, que je n'ai pas trop assombri la lumière de l'enfance, que j'ai construit en artisan des petits îlots de réconfort et de soutien. Que je ne me suis pas trop laissé aller à la facilité de l'aquoibonisme et au découragement. Envers et contre tout.
Et toi, comment as-tu aimé aujourd'hui ?