25 Juin 2023
Après avoir été le sixième homme à marcher sur la Lune en 1971 dans le cadre de la mission Apollo 14 et lors de son vol retour, l'astronaute Edgar Mitchell vit ce qu'il qualifie d'expérience de connexion universelle en observant la Terre depuis l'espace. Profondément transformé par cette expérience, il s'intéresse de très près à l'écologie et à la conscience et fonde en 1973 et avec le soutien financier d'un riche donateur, l'institut des sciences noétiques (IONS) dont l'objet est la recherche scientifique sur la conscience et les phénomènes liés.
L'enjeu de ce type de recherche est absolument énorme. Il s'agit ni plus ni moins de montrer que la conscience peut être indépendante du corps humain et des cinq sens, comme semblent le suggérer les perceptions rapportées notamment par les personnes vivant des expériences de mort imminente (EMI), de sorties hors du corps, de réveils de kundalini, de samadhi, de télépathie, ou encore d'autres types d'expériences qui ne sont pas explicables pour l'heure par les théories scientifiques. Une telle démonstration serait une révolution de notre rapport au monde. Littéralement un choc ontologique. Longtemps confinée aux rayons d'une parapsychologie considérée - non sans un certain mépris par les scientifiques tenant d'une vision matérialiste réductionniste du monde - comme un amoncellement de pseudo-sciences, l'étude des états de conscience connaît depuis une vingtaine d'années un renouveau certain. Les évolutions technologiques n'y sont sans doute pas pour rien. Grâce aux nouvelles techniques de réanimation, il devient par exemple possible de ramener à la vie des personnes plusieurs minutes après leur mort clinique. C'est ainsi que les témoignages d'EMI se multiplient et qu'il devient désormais impossible de les ignorer.
Mais comme le disait Carl Sagan en 1980, "des affirmations extraordinaires nécessitent des preuves extraordinaires". C'est pourquoi les chercheurs ne relâchent pas leurs efforts. 50 ans après sa création, l'institut IONS est plus actif que jamais: plusieurs articles scientifiques sont publiés chaque année dans des revues à comité de lecture par les six chercheurs titulaires dirigés par Helané Wahbeh et par l'une des figures les plus importantes de la recherche en parapsychologie, Dean Radin. 2023 est aussi l'année de la première édition du concours Linda G. O'Bryant Noetic Sciences Research Prize, doté de $100.000. Ce concours "avec un grand C" ("Big C contest") annoncé fin 2022 récompense un individu ou une équipe qui propose un protocole scientifique testable dont l'objectif est "d'explorer l'hypothèse que l'esprit est plus qu'une fonction neurologique", autrement dit que la conscience n'est pas une production du cerveau comme les chercheurs en neurologie du cerveau le postulent à l'heure actuelle, mais qu'elle est de nature non-physique.
La donatrice Linda O'Bryant au centre entourée de Dean Radin, Arnaud Delorme, Garret Young et Helané Wahbeh (crédits photo IONS)
C'est ainsi que 108 équipes ont répondu au défi et ont envoyé leur protocole au concours mi-janvier 2023. Le 15 mars, le jury retenait les propositions de dix équipes, invitées alors à soumettre des propositions bien plus détaillées. Et c'est le 24 juin à 21:20 heure française qu'ont été annoncés les lauréats. Le jury n'ayant pas réussi à trancher, ce sont trois protocoles qui ont été déclarés vainqueurs du concours et qui se partagent la dotation de $100.000. En voici une description succincte.
Alex Gomez-Marin est un chercheur espagnol en neuro-sciences qui propose de prouver que la vision extra-oculaire (VEO) est possible en testant des personnes exceptionnelles et aveugles dans des conditions contrôlées. Ayant lui-même frôlé la mort et vécu une EMI en 2021, lors de sa convalescence, il lit un ouvrage du chercheur mexicain en neurophysiologie Jacobo Grinberg où il est question d'enfants de Mexico capables de VEO. Interpelé par le sujet, il apprend que dans sa ville, Alicante, une démonstration de ce phénomène a lieu le lendemain. Il s'y rend et constate que le groupe d'enfants présents est en mesure de reconnaître des formes, des couleurs et même de lire un texte. Stupéfait, il s'investit alors dans l'étude de cette compétence, lit la littérature sceptique sur la question et comprend que s'il trouve un sujet capable de VEO dont la cécité est avérée, alors il sera prouvé que de l'information peut être perçue en dehors des cinq sens, ce qui montrerait que la conscience n'est pas de nature physique. Or, il se trouve que ce sujet exceptionnel existe et qu'il a déjà été soumis à des tests préalables. Alex Gomez-Marin propose un protocole en triple aveugle où ce sujet devra déterminer la couleur et la forme d'un objet, et même décrire des images complexes. D'après les tests préliminaires, le sujet obtient des résultats corrects dans plus de 90% des expériences ! C'est donc un projet particulièrement porteur de promesses, et qui offre l'avantage d'être très simple à implémenter.
Wolfhardt Janu est un ancien chercheur en chimie théorique devenu inventeur et développeur informatique qui part de l'hypothèse que la conscience est non-locale (au sens quantique du terme) mais qu'elle est capable d'interagir avec la matière. L'une des manifestations de ces interactions serait visible par l'intermédiaire d'un générateur d'événements aléatoires (random event generator ou REG). Cela rappelle des expériences de 2014 où des sujets tentaient d'influencer un REG depuis une distance de 190 km et où une déviation statistiquement significative avait été observée par rapport au groupe de contrôle. Wolfhardt Danu a appliqué le même principe dans le cadre de rituels de tantrisme en utilisant deux dispositifs REG. Or, il s'est avéré que pendant les séances, les valeurs de nombres aléatoires étaient souvent corrélées à des niveaux significatifs. Des résultats similaires avaient déjà été observés par Nitamo Montecucco en 2007 (rapporté dans le livre Science et Champ Akashique d'Ervin Laszlo), à savoir que les enregistrements d'électroencéphalogrammes de 11 méditants mutuellement isolés peuvent se synchroniser à 98% sur l'intégralité du spectre des ondes cérébrales. Le nouveau protocole testé lors des séances de tantrisme va donc s'attacher à identifier des synchronisations de REG situés à plusieurs centaines de kilomètres dans les mêmes conditions, mais également dans une situation où l'un des appareils est placé dans une chambre d'hôpital où se trouve un patient mourant. Si des synchronisations significatives sont observées, alors cela sera considéré comme révélateur d'une information transmise par le biais d'un hypothétique champ noétique.
Donald Hoffman est un professeur de sciences cognitives à l'Université de Californie qui étudie depuis plusieurs années la question du lien entre l'esprit et le corps. Il est l'auteur en 2010 de la théorie de la conscience comme une interface utilisateur multimodale (Multimodal User Interface ou MUI) - une théorie proche du panpsychisme - et un fervent croyant en la théorie qui postule que l'espace-temps n'est pas fondamental, mais qu'il est une propriété émergente d'une notion encore plus fondamentale encore: la conscience. Cette théorie est largement décrite dans The Case Against Reality un livre qu'il a publié en 2019. De son point de vue, sous-jacents aux particules élémentaires se trouvent ce qu'il appelle des agents de conscience, c'est-à-dire des entités élémentaires de ce champ de conscience, des qualias. Mais comment identifier dans l'espace-temps des particules de conscience qui théoriquement n'en font pas partie ? Le protocole se propose de vérifier que la distribution des moments des quarks et des gluons qui composent un proton peut être prédite par la théorie des agents de conscience, ce qui tendrait à montrer que les particules élémentaires peuvent être considérées comme des projections dans l'espace-temps d'arrangements distribués d'agents de conscience. Et l'on pourrait alors postuler sérieusement l'existence d'un champ de conscience. Pourquoi ce choix de modéliser un proton en termes d'agents de conscience ? Tout simplement parce que les gluons et les quarks qui le constituent sont les particules les plus simples de matière. A partir de là, il s'agirait de remonter la chaîne de complexité de la construction de la matière en modélisant un noyau nucléaire, puis un atome, puis une molécule, et ainsi de suite jusqu'au monde macroscopique.
Les lauréats: Alex Gomez-Marin (en haut à gauche), Donald Hoffman (en haut à droite) et Wolfhardt Janu (en bas à droite). Helané Wahbeh est en bas à gauche.
Ces trois approches sont fondamentalement différentes les unes des autres et, d'une certaine manière, elles se complètent bien. C'est sans doute pour cela qu'il a été préféré de retenir ces trois projets plutôt qu'un seul.
Le problème de la conscience nous concerne tous, et au-delà de l'humain, il concerne tout le vivant. Il est ainsi très intéressant de voir que des initiatives existent pour financer ce type de recherche qui fait encore en 2023 l'objet d'une forte stigmatisation de la part du monde académique et des sponsors publics et industriels. C'est pourtant un champ de recherche qui le mérite, notamment si l'on s'en réfère aux attentes et croyances du grand public qui s'interroge sur les problématiques existentielles. Espérons donc que les levées de fonds réussies par Linda O'Bryant à hauteur de $100.000 et le mécénat d'un Robert Bigalow à hauteur de $1.8 millions inspireront d'autres donateurs dans le monde !
Vidéo de la remise des prix du concours IONS