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TélescoPages

Un espace dédié à la musique, à la littérature, à la science, à la conscience, et au-delà

Entretien - Carole Clotis

J'ai découvert la poésie de Carole Clotis à travers les réseaux sociaux. À la lecture de ses mots denses et chargés, une richesse que je recherche, et du fait de son style naturaliste et parfois lyrique, j'ai été très rapidement intrigué. Au point de la contacter pour lui demander son premier recueil publié dans la revue Pan poétique des muses en 2017. Au point de réserver l'un des cent exemplaires de son premier recueil, Froissures, publié au format livre début 2023 chez ENd éditions. Au point de la solliciter pour un entretien dans la foulée, un entretien qu'elle a très gentiment accepté de m'accorder lors d'un passage à Metz. Rencontre avec une artiste poète tout en spontanéité, au débit rapide, à fleur de sensibilité, à la croisée des arts dans l'atelier Sainte-Croix des Arts où officient Jean-Marie Wunderlich, Philippe Buiatti et Phillippe Detzen.

Entretien - Carole Clotis

TélescoPages: Bonjour Carole, je voudrais commencer par vous poser la question de la définition de la poésie. Quelle est-elle selon vous ?

Carole Clotis: Je ne sais pas trop la définir. Pour moi, c'est une forme de pause, un moment de ralentissement et de respiration. C'est lié au chant. Lorsque je termine un poème et que je le relis, je me dis qu'il y a quelque chose, que je ressens un souffle, qu'il y a une respiration qui me convient, et c'est comme ça que je sais qu'il est fini.

TP: Qu'est-ce que le souffle pour vous ?

CC: Ce n'est pas le lien aux muses, c'est vraiment une respiration intime et personnelle, qui n'est pas celle d'un autre écrivain. C'est quelque chose qui fait sens, qui relie les mots et les phrases entre elles, si tant est qu'il y en ait. Parfois un seul mot peut avoir un souffle particulier. Il y a une forme d'énergie de vie dedans. Et en même temps, c'est une pause. Parce que quand on chante ou qu'on écrit, on met des pauses forcément, pour mettre des mots en valeur. C'est à la fois une respiration et une pause. Dans une vie qui n'a rien à voir avec la poésie, pour gagner sa vie, où l'on doit donner beaucoup, c'est une pause. On se pose et on écrit, et parfois cela vient comme une fulgurance, parfois pas du tout quand le souffle vient en écrivant. J'ai un carnet où je note tout ce que je vois parce que tout est inspiration en fait. C'est une pause dans la vie mais aussi dans la respiration quand elle devient un peu haletante. C'est une forme de reconnexion à nos images intimes et puis au monde, du moins à ce que l'on en a perçu.

TP: De façon plus générale, est-ce que la poésie a une fonction, un rôle, dans le monde actuel ?

CC: Elle doit permettre aux gens de respirer. Pour moi, c'est une forme de ralentissement. On peut prendre un poème, sans être obligé de prendre un recueil, et on respire. Elle permet aussi de ne pas se sentir seul.e.s.

TP: Et la place de la poésie dans la littérature actuelle ?

CC: Je trouve qu'elle prend une place maintenant, notamment grâce aux réseaux sociaux. On a accès plus directement à des poèmes. On n'est plus obligé.e.s d'aller oser prendre un livre dans le rayon poésie. Il y a un accès assez immédiat à la poésie, où sans le chercher, on peut tomber sur un poème et ça nous fait la journée. La poésie reprend sa place, celle qu'elle devrait occuper.

TP: Oui, il y a quelques phénomènes de poésie comme Rupi Kaur ou Cécile Coulon qui ont émergé sur les réseaux sociaux. Pour ma part, j'ai dans mes contacts Facebook beaucoup de gens qui écrivent de la poésie et qui ne sont pas publiés. La qualité est inégale mais je fais le constat que leur mode d'expression est la poésie et je crois que ça dit quelque chose, même s'il y a probablement un effet d'entre soi.

CC: Pas seulement. Dans mon réseau, je n'ai pas que des écrivains, j'ai plein de gens différents. Justement, ce qui m'intéresse dans les réseaux sociaux, c'est le fait que dès que je publie un texte, j'ai des retours immédiats de gens d'horizons complètement différents. Je ne vois pas les réseaux sociaux comme un entre soi. Dans mon réseau, j'ai de la famille, des gens que j'ai connus enfant, qui ne s'intéressent pas spécialement à la littérature ou à la poésie, mais qui viennent quand même lire et commenter, ce qui me touche beaucoup. Il y a des gens plus initiés. La poésie fait des ponts entre des univers, entre des gens qui ont envie de lire

Entretien - Carole Clotis

TP: Qu'est-ce qui vous a fait franchir le cap de la publication, vous dire que vous vouliez être publiée au format papier, qui a un autre impact que les réseaux sociaux ?

CC: Ça a commencé il y a longtemps. Il y a des années j'avais rédigé un texte en prose, encore un peu trop thérapeutique, et j'avais eu de bons retours sur certaines formules qui pour moi étaient un peu fulgurantes, qui relevaient d'un texte poétique mais que j'avais mises en prose. Le texte en prose était mal fichu donc ce n'était pas possible. Pour Froissures, c'est l'éditrice qui est venue me chercher, qui est tombée sur un texte et qui m'a dit "On fait le recueil, on avait dit qu'on ferait quelque chose ensemble, allez, on le fait, c'est maintenant!" Donc j'ai rassemblé des textes, corrigé, réécrit. L'idée d'avoir un livre entre les mains est une évidence, pour laisser une trace, mais aussi pour faire quelque chose de mes textes, pour qu'ils ne restent pas dispersés en vrac à l'état de brouillons. J'ai un ami Facebook chercheur au CNRS qui m'avait demandé il y a quelques mois ce que je faisais de mes textes et si je les oubliais. J'ai plein de textes dans mes tiroirs, est-ce que c'est nécessaire d'en faire quelque chose ? Mais là, pour Froissures, je trouve qu'il y a un sens, un cycle.

TP: Oui, il y a un rapport sous-jacent avec les saisons.

CC: Je suis contente que vous l'ayez vu. Je pensais écrire un livre sur les saisons parce que ça parle à tout le monde. Je pensais aux gens qui le liraient et me disais que chacun s'y retrouverait, que chacun vit les saisons différemment et que chacun peut aller prendre un mot, un verbe. Mais ça ne marchait pas. J'ai d'abord essayé de rassembler les textes sur chaque saison et j'ai vu qu'en hiver, je n'écrivais rien ou très peu, en été, très peu aussi. J'écris davantage en automne et au printemps, les saisons qui remuent assez classiquement. J'ai quand même trouvé un lien, un fil en essayant de construire ce recueil, à la fois dans ce que le poème dit et quand il a été écrit. Mais plutôt dans ce qu'il dit du lien à la terre, aux éléments.

TP: Oui, le lien à la terre, aux éléments, à la nature, et même à la nature humaine, est omniprésent. A l'heure où beaucoup de poésie est thérapeutique, concentrée sur les ressentis, sur soi, je trouve que Froissures offre un regard assez extérieur qui est un bon dosage entre extériorité et intériorité.

CC: Je suis contente de l'entendre. Je suis comme beaucoup de gens, j'ai besoin de vivre les choses, de beaucoup observer. J'observe beaucoup depuis que je suis toute gamine. Mon père m'a toujours dit de beaucoup observer, parce que quand on observe, on peut s'améliorer, on peut changer. J'observe beaucoup les gens. Je suis très mal à l'aise dans un groupe par exemple. Je préfère me mettre à l'écart pour observer. Ça me nourrit, ça me suffit, je n'ai pas toujours besoin d'être dans le premier plan, dans la participation. La nature, c'est pareil. C'est à la fois de l'observation et le fait de faire partie de tout ça. Et puis après, il y a des choses qui viennent, je note cette phrase, je note ce mot. Il y a parfois des gens qui me disent des choses et je ne sais pas pourquoi telle ou telle phrase reste. Par exemple, il y a un poème où j'écris "Je suis à quelques mètres de vous" où j'avais rendez-vous à Metz avec un photographe, ici à la cathédrale. Il m'attendait, je ne savais pas à quoi il ressemblait, il m'envoie un message où il dit exactement cette phrase. Je l'ai trouvée très belle, je ne sais pas pourquoi, et pour moi, elle s'est mêlée aux oeuvres de l'artiste franco-syrienne Poline Harbali avec qui j'ai travaillé (voir la série Le Damas des autres, ndlr), et notamment à une photo-montage qu'elle avait faite. Tout s'est mélangé et le sens est venu là. Pendant des années, je me suis demandé ce que je ferais de cette phrase.

TP: J'ai noté qu'il n'y a pas d'illustrations dans ce recueil. Souvent, les poésies sont accolées à des images.

CC: Je l'avais fait dans le premier recueil, Passages, de 2017, avec Jean-Marie Wunderlich justement, qui avait pris les vers et qui a recréé un univers. Mais l'éditrice ne voulait que des textes. C'est aussi une question de budget pour inclure des illustrations. Pour l'instant, c'est comme ça mais oui, j'aime travailler avec les images. Il y a des poèmes de 2018 que j'ai écrits avec des images, que j'ai retravaillés ensuite.

TP: C'est aussi aux lecteurs de s'approprier les textes.

CC: J'aime bien le fait de ne pas montrer la source.

TP: Justement, dans la continuité de cette approche qui consiste à ne pas montrer la source, j'ai trouvé certains passages un peu hermétiques. Et je me suis demandé si c'était une forme de pudeur.

CC: Vous n'êtes pas le seul (rires!). Ce n'est pas conscient, ce n'est pas une volonté, ce n'est pas sciemment mallarméen. J'écris comme ça. On me dit parfois que ma poésie est dure, qu'elle est pour les initiés. Mais il y a des poèmes qui sont beaucoup plus simples pour lesquels on me dit que j'ai changé de veine, que c'est plus simple, que c'est mieux. Je ne sais pas d'où vient cet hermétisme, c'est peut-être dû au fait que j'écris parfois d'après des images, quand le poème n'arrive pas à prendre son envol tout seul.

TP: Cet hermétisme est aussi intéressant dans le sens qu'il nécessite une lecture active. C'est un peu équivalent à ce qui arrive lorsque l'on se retrouve devant une toile abstraite et que l'on se demande ce que cela raconte.

CC: L'important est avant tout que cela résonne chez les autres. Il ne faut pas que ça reste entre soi et soi.

TP: Par rapport à Froissures, qu'est-ce qui a déterminé le choix des textes ?

CC: La froissure, c'est la marque, c'est ce qu'il reste. C'est même lié au premier recueil que j'avais fait avec Jean-Marie Wunderlich. Lui est sculpteur, mais il fait aussi des encres. Ce qui m'intéresse, c'est ce qu'il y a dans les plis, ce qu'il y a entre les mots du texte, entre les pages, entre les chemins de vie, entre les moments de vie, les plis des cheminements de l'existence, ce qu'il en reste et ce que l'on en fait. Je déteste faire table rase du passé. Et je déteste me complaire dans une forme de mélancolie que j'ai connue et dont je ne veux plus. Mais j'aime les objets qui ont vécu, j'aime vivre dans des endroits où il y a une âme, je déteste les maisons neuves. Il y a une forme de trace que peut-être je veux laisser mais une autre que je prends. J'aime m'imprégner de mes grands-mères, de leur vie, je regrette leur mort, j'aurais aimé approfondir un lien avec l'une d'entre elles notamment. Il y a la question de l'exil, par rapport à mon histoire familiale, mais pas seulement. Et puis les froissures, ce n'est pas la colère, ce n'est pas la blessure, même si on peut la voir parfois.

TP: J'ai senti qu'il y avait un lien à la souffrance personnelle.

CC: Ce n'est pas seulement personnel. Le poème "À l'enfant d'O." raconte l'histoire de quelqu'un d'autre même si ma fille y est mêlée. Je suis très empathique je crois, je suis touchée par les histoires des autres, notamment les histoires d'exil. Poline Harbali, c'est ça. C'est une artiste franco-syrienne qui cherchait à faire un pont entre la France, même si maintenant elle vit au Canada, et ses racines syriennes auxquelles elle n'a plus d'accès immédiat. Il y a ma grand-mère aussi qui a quitté l'Algérie il y a soixante ans, quand elle avait plus de cinquante ans, avec deux enfants, dont mon père, de douze ans. Je n'ai jamais pensé à le faire. Aujourd'hui, je le vis comme un manque et ça vient encrer mes textes et mes réflexions. Et là, je me sens lié à elle, avec ces images de ferry, la mer qui sépare et qui rassemble, l'eau.

TP: Est-ce que c'est cela qui nourrit ton intérêt pour les musiques nomades ?

CC: Oui, c'est la question de la faille qui est en chacun de nous et que le flamenco et les musiques de l'est, les musiques roumaines que j'aime aussi, expriment très bien. Je retrouve une forme de douleur qui est sublimée, réutilisée pour en faire une nouvelle matière.

TP: Cela rappelle la saudade.

CC: Oui, la saudade me touche beaucoup, les musiques du Cap-Vert. J'aime le jazz aussi, le côté dissonant. La dissonance fait partie du souffle. J'en parle dans le poème "Racines". La dissonance, c'est la faille, le grain de sable. Il y a le personnage social, la prof de français, et à côté il y a ce quelqu'un que l'on ne soupçonne pas, parfois, d'exister.

TP: Je partage complètement ce point de vue. Et j'irais même jusqu'à dire que la poésie est capable d'apporter une dissonance au coeur-même de la langue. Au-delà de la licence poétique, il y a une exploration et la possibilité de casser tous les codes.

CC: Exactement et ça c'est très important! C'est ce que j'ai écrit dans "Racines", "Creuser jusqu'à sa langue". Arriver à trouver sa langue dans les creux, les creux à soi mais aussi dans ceux des autres. Et je trouve que la littérature, et notamment la poésie, arrivent à nous dire que nous ne sommes pas seuls, qu'il y a un lien humain et c'est ce qui m'intéresse vraiment.

TP: J'ai bien aimé que Froissures se termine sur une ouverture avec "Et après ?" A mon tour, je vous pose cette question. Et après ?

CC: Il m'a semblé important de placer ce texte à la fin, en ouverture, pour que le lecteur se questionne. Est-ce que c'est le monde d'après ? Je ne sais pas, on n'est pas dans la fuite, c'est une sorte de continuité dissonante. Je n'aime pas la question de la fuite sauf s'il s'agit de fuir en soi pour creuser en soi et nourrir, chercher en soi ce qui est authentique comme les guitares qui ne sont pas branchées. Ou alors la fuite du monde, le repli. Après ? Je ne sais pas.

Entretien - Carole Clotis
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