La semaine passée, j'ai pu terminer un livre que j'avais commencé il y a quelques semaines: Small Is Beautiful - A Study of Economics as if People Mattered de Ernst Friedrich Schumacher, un livre d'économie paru en 1973. C'est ma mère qui me l'a offert suite à une discussion où je lui parlais de la vision - détachée des notions de physique, d'énergie, d'écologie et d'humanisme - des économistes actuels qui ont la mainmise sur les choix politiques occidentaux depuis des dizaines d'années. Elle m'a simplement dit que ça n'était pas nouveau et qu'il y avait en Angleterre dans les années 70 un expert qui avait écrit un livre à ce sujet qui avait fait grand bruit. Voilà, c'est donc ce livre et je me suis dit en le recevant qu'elle se faisait sans doute des idées. Mais en fait non, bien au contraire.
Ce livre est intégralement le fruit d'un esprit et d'une clairvoyance hors du commun. Toutes les problématiques actuelles y sont: la finitude des ressources (pétrole et minerais) considérées comme des externalités et non pas du capital, la pollution qui va aller de pire en pire, l'importance d'avoir des jobs porteurs de sens, la Terre-Vaisseau, l'illusion d'avoir résolu les problèmes de production, le capitalisme qui va accentuer à l'extrême l'écart entre les plus riches et le reste du monde, l'économie qui "ignore la dépendance de l'homme envers le monde naturel", l'humain qui devient "esclave mécanique", la dépendance vitale de l'économie à l'énergie. Il est même question de la pollution thermique due à l'hyper-utilisation de pétrole au cas où l'on trouverait de nouvelles réserves (et ce fut le cas), ce qu'on appelle maintenant le réchauffement climatique! Il est aussi question de l'optimisme des scientifiques qui considèrent que face à ces problèmes insolubles à l'instant t les progrès technologiques permettront de passer outre. Comme celui de la gestion des déchets nucléaire...
La problématique de la croissance infinie dans un monde fini est évidemment abordée, avec en filigrane celle de l'effondrement. Le modèle du MIT qui a servi au rapport "Les limites de la croissance" (le désormais célèbre "Limits to Growth" du Club de Rome sorti juste avant ce livre) est étudié et considéré comme la confirmation par ordinateur d'une évidence absolue.
Sont alors proposés les concepts "d'économie bouddhiste", d'entreprises privées à taille maximum (quelques dizaines d'employés au plus), d'importance d'investir dans l'éducation et de considérer l'agriculture comme quelque chose de bien plus noble qu'un secteur industriel, de ne plus réduire la vie humaine à cette abstraction extrême qu'est le PIB.
Au final, c'est complètement désespérant de faire le constat qu'en 1973, tout était déjà là, bien compris et que malgré toute la considération dont jouissait E. F. Schumacher à l'époque au sein des milieux politiques, c'est le scénario du pire qui a tourné à plein régime, celui d'une économie étalon complètement hors sol dont de plus en plus de gens mesurent les conséquences de la fuite en avant aujourd'hui. De nombreux esprits brillants font des carrières de conférenciers experts en reprenant exactement les mêmes thèmes que Schumacher, avec la même impuissance à influencer les politiciens décisionnaires. Et ce n'est qu'une fois les conséquences sous nos yeux que les décisions sont prises, comme l'illustre ironiquement la piteuse gestion de l'épidémie de coronavirus. Je pensais déjà que la vie de la cité était bien trop importante pour être laissée entre les mains des politiciens et des économistes, mais le fait que ce livre date de 1973 est une vraie claque... L'humain n'apprend rien et je finirai fataliste. Merci maman!
À noter au passage l'excellence du niveau d'anglais (écriture et vocabulaire) de l'auteur pourtant allemand d'origine.