Eric Sadin - L’intelligence artificielle ou l’enjeu du siècle
17 Septembre 2019
Rédigé par Yann Caroff et publié depuis
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Le dernier livre d’Eric Sadin, L’intelligence artificielle ou l’enjeu du siècle dépasse de plusieurs têtes tout ce que j’ai pu lire jusqu’à présent à propos des enjeux liés à cette technologie. Dès les premières pages, on est saisi par l’intelligence humaine de l’auteur, son esprit de synthèse, sa capacité à envisager l’IA non seulement au coeur des sociétés, mais surtout à mesurer ses fonctions selon les philosophies et idéologies qui les sous-tendent. Les sociétés qui développent des modèles d’IA le font à des fins mercantiles, soit en vendant des services qui “facilitent” la vie des utilisateurs devenus de facto des clients, soit en réduisant les coûts de production en amont en remplaçant l’humain par des machines jusqu’à des postes de plus en plus élevés.
Car c’est un fait que l’IA dépasse de très loin l’humain dans certaines tâches spécialisées. Cela signifie que dans les sociétés capitalistes qui mettent les organisations en compétition, les humains sont devenus une technologie obsolète, et il n’y aura pas d’autre solution pour les occuper que de leur fournir un revenu universel pour les transformer en consommateurs de loisirs. C’est assez raccord avec la façon dont on place et oublie les vieux dans les EHPAD (car on ne dit même plus maison de retraite). Dans un tel contexte, l’humain voué à ne plus être stimulé intellectuellement déclinera inexorablement. Cette perspective fait-elle vraiment rêver ?
C’est un livre dense, condensé. Les 280 pages m’ont demandé 2 semaines de lecture et de digestion, et je sais que si je le relis, je verrai encore des nouvelles choses. Comme dans de nombreux autres ouvrages de philosophie, l’auteur ne s’abaisse pas à la vulgarisation, c’est au lecteur de s’adapter pour être tiré vers le haut, avec au final quelques nouveaux mots de grec dans son vocabulaire. Si vous plongez un livre d’Eric Sadin dans l’eau, vous avez facilement 5 livres de Laurent Alexandre. Là où ce dernier se contente d’explorer le futur de l’IA et de l’humain dans le contexte capitaliste dont il est le produit, Eric Sadin remet en question la pertinence même des modèles capitalistes explorant les chemins en amont des sentiers battus.
Sans sacrifier le style à la technicité du sujet, ce livre est un plaidoyer pour replacer l’humain au centre du jeu, pour redonner du sens à l’existence en ne privant pas l’humain de la puissance transformatrice du travail et de la réflexion, quand bien même il serait moins efficace qu’une machine. L’humain qui est en mesure d’appréhender le réel à des niveaux de complexité infiniment plus élevés que des machines travaillant sur base de matrices de nombres, les data sets, dont la pertinence est jugée à l’aune des intérêts économiques. L’humain, qui est capable de phénoménologie. L'humain, qui est le fruit d'une évolution tout sauf standardisée.