Il est un fait que les économistes et les politiciens qui les écoutent ont tendance à oublier, c'est que l'économie est une propriété émergente de la physique. Preuve en est que les modèles économiques qui ont prévalu jusqu'à maintenant considèrent les ressources naturelles, le climat, l'air que l'on respire et même la géographie, comme des éléments gratuitement mis à la disposition de l'être humain pour son confort ou ses ambitions. Ces éléments qui ne font pratiquement jamais partie des équations que les politiciens utilisent pour arbitrer les conflits d'intérêts portent un nom, généralement formulé du bout des lèvres: les externalités. Ils sont à l'économie ce que les neutrinos sont à la physique: un truc qui existe oui, mais qui n'a aucune masse et aucune charge, bref, qui n'a aucun intérêt en somme. Un impensé de notre civilisation.
Ainsi, l'économie a fonctionné en hors-sol depuis 200 ans avec l'avènement des machines-outils qui peu à peu ont remplacé l'animal, puis de plus en plus l'homme. Or, ces machines qui, on ne s'en rend plus compte, équivalent la puissance de 200 personnes en moyenne dans un foyer occidental, ont besoin d'énergie pour être conçues, construites et fonctionner. Puis, elles sont jetées, rarement recyclées. Ce mode de fonctionnement nous apparaît comme un acquis, parfaitement normal, et sur lequel il est inenvisageable de revenir, de même que la croissance du PIB qui sous-tend ce mode de vie. La croissance, graal des politiciens des grands partis qui posent d'office l'hypothèse de son retour à des valeurs rassurantes pour établir des budgets qu'ils ne pourront pas tenir.
Dormez tranquilles jusqu'en 2100 et autres malentendus sur le climat et l'énergie écrit par Jean-Marc Jancovici en 2015 est un livre qui ambitionne de faire le lien entre la physique, l'économie, la sociologie et la (géo)politique. L'auteur est rompu à la collecte de données et à l'analyse des statistiques de par son métier, et lucide sur les milieux politiques qu'il fréquente et sur lesquels il avoue n'avoir quasiment aucune influence malgré un lobbying assumé et persévérant. C'est sur base de nombreuses données qu'il a découvert il y a quelques années une corrélation très forte entre niveaux de production de pétrole et PIB, avec un effet retard qui donne tout lieu de penser qu'il s'agirait même d'un lien de causalité. Et l'auteur de s'amuser du constat que les décisions politiques n'ont aucun effet sur le PIB: pétrole et PIB restent obstinément corrélés quels que soient les gouvernements, de droite, de gauche, de centre, de conservateurs, de libéraux ou même des démocratures.
La lecture est aride par moments tant Jean-Marc Jancovici nous abreuve de chiffres et d'informations, mais il faut bien reconnaître que cette explication de l'économique et du sociologique par le pétrole et par l'énergie est très séduisante. En revanche, fort du constat physique que les ressources naturelles sont en stock limité, et en particulier le pétrole, l'auteur nous prévient que cette corrélation n'a aucune raison de s'arrêter et que la raréfaction des ressources ira de pair avec le rétrécissement de notre confort et donc avec des tensions sociales de plus en plus importantes. En gros, le monde vit largement au-dessus de ses moyens et si nous ne planifions pas de nous-mêmes et de façon relativement concertée une décroissance de nos besoins énergétiques, c'est la physique qui s'en chargera et ce sera alors très probablement une grosse claque. Pour lui, la croissance verte et la transition écologique vantées par les politiques sont au mieux un déni de la réalité, plus probablement des arguments vides de campagne électorale.
Il est également largement question de climat dans ce livre. Jean-Marc Jancovici nous éclaire sur les causes du réchauffement, et sur ce que signifie vraiment une augmentation de 5°C de température moyenne mondiale: acidification des océans, stress hydrique, diminution des zones de culture, hausse des coûts de transport, tensions sociales, révolutions, dictatures et guerres. L'on comprend alors d'autant mieux la légitimité des questions rapportées par Greta Thunberg que ces perspectives d'avenir n'enchantent que modérément. L'auteur apporte des pistes pour assurer une décrue la plus en douceur possible: la sobriété énergétique, la diminution drastique de la consommation de viande, la décarbonation qui passe par un recours accru à l'énergie des centrales thermonucléaires et de l'hydroélectrique, ainsi que par l'arrêt de toutes les centrales au charbon. Et au passage, il égratigne les énergies dites renouvelables que sont l'éolien et le solaire.
Je dois dire que je partage beaucoup de ces points de vue avec l'auteur et que cette approche systémique me parle beaucoup du fait de son caractère scientifique et factuel. Les faits sont encore et toujours têtus et les lois de la physiques non négociables...
Pour les ados, il y avait Le changement climatique expliqué à ma fille, pour les adultes ou les personnes qui veulent vraiment creuser un peu plus la question chiffres à l'appui, il y a ce livre que je recommande vivement.