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TélescoPages

Un espace dédié à la musique, à la littérature, à la science, à la conscience, et au-delà

Fabienne Verdier - Passagère du silence

Je me suis pris une onde de bonheur à la lecture de Passagère du Silence de la calligraphe sinophone Fabienne Verdier. C’est un voyage à travers les contrées de la peinture vécue comme une religion qui nous est offert, avec pour toile de fond la Chine des années 80. J’éprouve une véritable fascination envers ces artistes pour qui leur art est l’expression même de leur spiritualité, au point que toute leur vie y est consacrée. Fabienne Verdier ne fait pas exception, elle qui a pris tous les risques pour arriver à suivre pensant 6 ans une initiation sur la terre natale de la calligraphie, en province du Sichuan. Première étrangère accueillie à l’école des beaux-arts de Chongqing après avoir tout abandonné de sa vie française, c’est peu dire qu’elle a essuyé les plâtres !
Il y a déjà cette nécessité d’apprendre le chinois mandarin, ainsi que le dialecte du Sichuan, la nécessité d’aligner son niveau de vie sur celui très spartiate des autres étudiants, la nécessité de vivre dans un environnement pratiquement pénitentiaire et d’enfreindre un grand nombre de règles. Car la calligraphie traditionnelle chinoise n’est pas facilement accessible à une étrangère, encore moins après la révolution culturelle maoïste qui a presque tout effacé de plusieurs millénaires de production artistique. Les maîtres n’exercent plus, vivent dans des taudis, pour certains mutilés, leur art étant considéré comme décadent et non conforme à la doctrine communiste. Tout le monde se méfie de tout le monde. On est dans un monde orwellien où l’épanouissement individuel est banni et doit de fait se vivre dans la clandestinité. Pour celles et ceux qui considèrent la France comme une dictature, cette lecture aura l’avantage de remettre l’église au milieu du village.
Bon an, mal an, Fabienne Verdier trouve ses maîtres et s’engage pour des années dans cette discipline du compagnonnage, de la transmission en contrebande. Elle commence par peindre des traits droits pendant des mois, l’idée étant de lui apprendre à restituer la vie qui se cache au cœur d’un simple trait d’encre noire et ce qu’il recèle d’humeur, de saveur et de sensualité. Plus d’un étudiant aurait abandonné, mais Fabienne Verdier est habitée par sa mission de vie. Elle est de ces êtres pour qui chaque expérience est un matériau brut, chaque chaos un terreau fertile, tendus vers la réalisation d’un appel intérieur, à même de transmuter la matière en éther subtil, avec pour pierre philosophale un pinceau. Elle devient son grand œuvre, voyageant de la technique à la pensée puis de la pensée au spirituel, en capacité de révéler l’élan, le dynamisme et les lignes de forces à chaque trait, la palette des couleurs à partir du noir. C’est une démiurge, une créatrice de chaque instant.
Cette approche d’une discipline quelle qu’elle soit me semble être de la plus haute noblesse. L’artiste s’efface pour se livrer comme simple exécutant à des forces supérieures, se fait médium des muses, devient le geste au point que ça devient le sens de sa vie. En acceptant toutes les merdes de la vie. Comme me l’a dit avec des étoiles dans les yeux l’amie qui m’a prêté ce livre en commentant une photo de Fabienne Verdier dans son atelier: "elle ne fait qu’un avec son pinceau". Et c’est de toute beauté. Quel parcours de vie!
Fabienne Verdier - Passagère du silence
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