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TélescoPages

Un espace dédié à la musique, à la littérature, à la science, à la conscience, et au-delà

De la compétition à la bienveillance, itinéraire d'une transcendance

Ces derniers jours, j'ai été assez impliqué dans des activités avec des enfants. J'ai assisté à la journée des parents dans la classe de CE1 de ma fille, puis j'ai co-animé dans des classes de maternelle des ateliers d'écriture de chansons avec l'écrivain Jérôme Attal. Et chaque fois, j'ai été sidéré par la bienveillance générale qui règne entre les enfants. Quand je pense à ce qui est arrivé à mon grand de dix ans en classe de sixième cette année - un épisode de plusieurs mois de harcèlement scolaire assez violent, qui a mené à une dépression et une tentative de suicide - je n'ai pas pu m'empêcher de me demander ce qui fait qu'une communauté d'enfants mutuellement bienveillants en vienne à développer des comportements de prédation.

Côté prédation justement, cela m'a fait penser à l'un ou l'autre de ces reportages animaliers où des prédateurs naturels comme des lions grandissent avec d'autres animaux qui, dans la vie sauvage, sont habituellement leurs proies. Et tout ce petit monde qui joue ensemble et s'entend bien, cohabite sans grandes tensions, sans que cela ne tourne jamais au meurtre. Les éthologues le savent bien: si prédateurs et proies s'entendent bien dans ces conditions, c'est qu'ils n'ont pas besoin de chasser pour se nourrir, c'est qu'ils sont rassasiés. Leurs besoins de base étant satisfaits, ils sont en mesure de passer à autre chose, de s'intéresser à d'autres espèces sans arrières-pensées assassines.

Le parallèle avec l'enfance me semble assez évident. Dans les classes de maternelle ou d'élémentaire que je suis amené à fréquenter avec ma fille et mes activités occasionnelles d'animation, la bienveillance est de mise. Les enseignantes sont pratiquement toujours au fait des actualités en matière de pédagogie et d'éducation. Maria Montessori et Françoise Dolto sont passées par là, suivies par de nombreuses autres personnes comme Céline Alvarez ou Julien Peron. La bienveillance est désormais l'une des conditions de base de l'enseignement en milieu scolaire, au moins dans les petites classes. Et pour encourager cela, il y a un mouvement de plus en plus pressant pour ne plus mettre de notes aux enfants qui dès lors ne ressentent plus trop le besoin de se comparer, au moins au niveau scolaire.

Mais tout cela change au collège. Brutalement, les enfants passent d'un environnement protégé à une jungle. Les notations arrivent. Les communautés se divisent en groupes qui suivent plus ou moins des hiérarchies et des logiques de prédation. La chaîne alimentaire se met en place, la compétition se fait de façon continue, pour accéder à la popularité qui offre un statut qui est l'équivalent de celui des dos argentés chez les gorilles. Le reste de la scolarité continue sur les mêmes bases. Puis c'est l'entrée dans le monde du travail où ces logiques de compétition sont omniprésentes et valorisées. Donner le meilleur de soi pour contribuer à la montée en puissance de l'entreprise pour laquelle on travaille afin d'assurer sa survie dans un monde professionnel désormais globalisé. Et tant pis pour les faibles. Ceux-là seront exclus parce qu'ils affaiblissent l'organisation, quitte à reproduire des comportements de harcèlement jusqu'à les pousser à la dépression et au suicide.

A l'échelle des pays, la compétition est violente, le rapport de force perpétuel malgré les tentatives du droit international de réguler les choses. C'est cette compétition qui pousse à développer sans cesse de nouvelles stratégie pour être les meilleurs, pour accéder ou conserver ses privilèges de dos argentés humains. Quitter à balancer des petits missiles ou à massacrer des populations de temps en temps.

Cette réflexion part d'une simple observation de ce qui se passe dans le contexte protégé de la prime enfance et de ce qui se passe quelques petites années plus tard. N'y a-t-il pas là une certaine fatalité ? Il semblerait que la compétition soit consubstantielle à notre monde. Comme le soulignent des chercheurs comme Pablo Servigne, il existe d'autres stratégies pour vivre dans ce monde comme la solidarité, ou l'entraide, cette deuxième loi de la jungle. Mais encore une fois, dans une vision systémique des choses, il s'agit d'une stratégie de compétition: pour battre les prédateurs, on se regroupe à plusieurs pour que l'accumulation des petites forces aboutisse à une neutralisation de la prédation, ou à sa disparition. C'est ainsi que l'humain a rayé de nombreuses espèces de la carte et est devenu le prédateur ultime.

Manger ou être mangés, tel semble être la fatalité du monde matériel. Et si cela ne suffisait pas, même la thermodynamique s'y met dans l'énoncé de son premier principe, celui de la conservation de l'énergie: "Rien ne se crée, rien ne se détruit, tout se transforme". A notre échelle, cela signifie que l'eau et la terre sont transformées en herbe, qui est transformée en lapin, qui est en transformée en civet. Et à notre mort, nous sommes à notre tour transformés en terre. Nous pouvons de ci de là créer des petites poches de non-prédation: c'est ce que s'évertuent à faire les philosophes et certains grands politiciens qui oeuvrent pour le bien commun, mais leur vision se heurte à peu près toujours à la limite d'un groupe: les humains. Les humains qui même s'ils arrivent un jour à se rassembler sous un même et unique drapeau seront en compétition contre les espèces animales et végétales. Il est en effet très difficile d'imaginer un monde où la vie des uns ne se fait pas a minima au détriment de la vie de certains autres. Je pense aux jaïnistes qui pratiquent l'ascèse et limitent leurs mouvements pour ne pas impacter le vivant et alourdir leur karma. Même eux n'y arrivent pas. Alors comment faire ?

Si le monde est véritablement un grand jeu à somme nulle du fait de la loi de conservation de l'énergie, alors en effet, toute tentative d'échapper à cette loi se verra soldée par un échec. C'est physique. Pourtant, il reste un petit espoir. C'est que la loi de conservation de l'énergie puisse être d'une façon ou d'une autre contournée. Mais cela est-il sérieusement envisageable ?

L'univers matériel est de sa définition même un monde fini. Il dispose d'une certaine quantité d'énergie qui bien que très élevée n'est pas illimitée. Notre système solaire dispose lui aussi d'un certain nombre de ressources, pas plus, pas moins. Existe-t-il pourtant des ressources dont on pourrait envisager qu'elles soient infinies ou qu'elles se transmettent sans perte ? Certains comme moi l'affirment volontiers et citent entre autres, l'imagination et les connaissances. Et en effet, transmettre une connaissance, ce n'est pas la perdre, c'est la multiplier. D'autres parlent de l'amour, qui serait une énergie purement vertueuse puisqu'en en donnant, on peut créer un phénomène de boucle et en recevoir en retour. La plupart des théologiens, philosophes, spiritualistes et religieux, qui ont beaucoup bossé la question, répondent à cette question par l'affirmative et parlent de transcendantaux pour les qualifier. Parmi elles, on peut citer le Vrai, le Bien, le Beau, l'Amour, et l'on prend un soin tout particulier à les préfixer d'une lettre capitale pour bien montrer qu'elles font partie de l'Absolu, du Un, lequel n'est pas accessible à la matérialité.

Ainsi, dans cette vision des choses, le bien et le mal, des valeurs dont il est fermement acquis qu'ils n'ont rien d'absolu, peuvent être remplacés avec bonheur, respectivement par le transcendant et par le matériel. Ainsi, toute décision peut être prise non plus en fonction d'intérêts purement matériels mais plutôt en fonction de la part de transcendance qui est en jeu. L'un des enseignements des expériences de mort imminente est que dans la part transcendante de ce type d'expérience, il n'existe rien d'autre que l'Amour. Puisque cet endroit est infini, alors la compétition n'y a plus aucune raison d'être.

Pour moi qui crois en l'existence de ces plans transcendants décrits par les expérienceur.se.s où les lois de conservation de l'énergie n'ont pas cours, la transcendance est une valeur phare. Je crois profondément que les personnes qui apportent de la lumière dans notre monde matériel sont celles qui sont inspirées par la transcendance. Le nom d'Albert Jacquard, décédé il y a 10 ans, me vient en tout premier parce qu'en dépit de sa formation scientifique, il était résolument contre la compétition et le rapport comptable au monde. Voici un homme qui a oeuvré l'essentiel de sa vie pour le bien commun et pour un rapport apaisé entre êtres humains. De manière générale, je crois qu'il faut importer de la transcendance dans le monde matériel dès que l'occasion s'en présente. C'est pourquoi je considère que la poésie et l'art sont essentiels. C'est pourquoi je suis persuadé que c'est l'Amour qui doit nous motiver tout au long de nos vies, parce que dans des ailleurs, c'est la seule énergie qui existe. Et l'une des formes les plus nobles de l'Amour est le respect du vivant. Dans ce monde matériel, la compétition est certes inévitable, mais il n'est pas absolument nécessaire de la pousser systématiquement à son paroxysme. Parce qu'on le voit très bien, cette fuite en avant nous amène à la catastrophe, à l'extinction des espèces, à l'annihilation du vivant.

Je crois que les jeunes enfants conservent quelques années en eux le souvenir de la transcendance et que c'est la raison pour laquelle ils sont naturellement curieux, créatifs et ouverts. Je rejoins Rousseau dans sa vision de l'humain naturellement bon. En revanche, à mon sens, ce n'est pas la civilisation qui le pervertit mais la matérialité régie par la loi de conservation de l'énergie inhérente au monde physique, qui crée la compétition et fait oublier la transcendance originelle. Peut-être que je me trompe, on ne peut jamais être sûr de rien, mais c'est mon pari. Et c'est la raison pour laquelle je ferai tout mon possible pour ne jamais me départir de cette part d'enfance qui s'accroche obstinément. C'est peut-être cela habiter poétiquement le monde...

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