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7 Mai 2025
Certaines maladies sont visibles et même ostentatoires. D'autres sont invisibles, voire honteuses. Et pour les personnes de la deuxième catégorie, la vie quotidienne peut parfois tourner au cauchemar tant l'on est pris en étau entre la souffrance due à la maladie et celle due à la peur du regard extérieur. C'est le cas de Nicolas Demorand, l'un des journalistes phares de France Inter et animateur de la matinale la plus écoutée de France, qui pendant une vingtaine d'années a pris sur lui pour garder dans l'ombre l'une de ces maladies invisibles et pourtant envahissantes qui te crochètent l'âme comme une salsepareille: la bipolarité. Jusqu'à ce matin du 26 mars 2025 où, en direct sur les ondes, et un jour avant la sortie de son livre Intérieur nuit, il fait la révélation de cette maladie qui le touche autour de cette anaphore: "Je suis un malade mental". L'onde de choc traverse les réseaux sociaux et les médias tant cette nouvelle étiquette semble ne pas lui coller à la peau. Il faut dire qu'il a drôlement bien caché son jeu pendant toutes ces années. Au-delà de la sidération qui prend le grand public de court, c'est aussi l'empathie et une forme de soulagement qui prend le relais. Car enfin, voici une figure médiatique de première importance qui ose se confier sur cette maladie qui touche entre 1% et 2% de la population. Et cela fait un bien fou. A lui en premier lieu. Mais aux autres personnes touchées par ce trouble bipolaire qui devraient trouver là une occasion de parler de ce mal profond.
Intérieur nuit est un format court mais dense qui nous présente une vingtaine d'années de tâtonnements médicaux, voire d'errances, de mauvais diagnostics, de prescriptions en essai-erreur, de dosages approximatifs, de consultations chez des praticiens de différentes obédiences. Et pendant ce temps, il faut quand même vivre, en assurant un poste à la responsabilité écrasante, en direct sous le regard ou l'écoute de millions de personnes. Je n'ose imaginer le calvaire que ça a dû être par moments, l'effort permanent pour ne jamais rien laisser transparaître. Moi qui ai connu durant quelques années des épisodes de profonde claustrophobie qui me laissaient épuisé en fin de journée de travail, je peux ressentir une fraction de ce combat au quotidien contre sa propre nature. Qui plus est, les quelques personnes dans la confidence ont parfois cette tendance à minimiser, à ne pas croire aux tourments, et à prodiguer des conseils pour aller faire du sport ou sortir se promener pour se changer les idées. Elles sont tellement loin du compte que somme toute, les personnes touchées par une bipolarité - tellement profonde qu'elle pourrait les définir - préfèrent ne plus en parler à qui que ce soit en dehors des professionnel.le.s. Comme on les comprend, elles qui plusieurs fois par semaine envisagent le suicide comme un médicament presque comme les autres !
Nicolas Demorand nous permet de découvrir une facette profondément humaine de lui-même en exposant ses failles et ses imperfections dans un texte à la fois paradoxalement empreint de pudeur, d'auto-dérision et de confidences. "J'ai un rêve: qu'une révolution du regard porté sur ces pathologies aide mes nombreux amis de maladie à avoir une vie sociale et professionnelle débarrassée de la honte et de la culpabilité. Accordez-nous la banalité." Tel est le projet d'Intérieur nuit. Montrer que la maladie n'est pas nécessairement incompatible avec un poste à responsabilités ou avec une vie honorable. Et il me semble que ce pari est gagné ! Un livre d'intérêt public qui va sans aucun doute réussir à semer des graines d'empathie dans les esprits.
Intérieur nuit - Nicolas Demorand - Les Arènes
" Les événements racontés dans ce livre se déroulent sur plus de vingt ans. Pendant toutes ces années, je me suis tu. Aujourd'hui, j'écris en pensant à toutes celles et ceux, des cent...