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TélescoPages

Un espace dédié à la musique, à la littérature, à la science, à la conscience, et au-delà

Aurélien Barrau - L'hypothèse K.

J'ai toujours beaucoup de plaisir à retrouver Aurélien Barrau à travers ses écrits, sa virtuosité, son éloquence, sa justesse et sa profondeur. Voilà un humain qui a une vision panoptique du monde, qui choisit les mots avec la précision d'un laser, qui maîtrise la démarche scientifique et les concepts philosophiques, qui touche sa bille en étymologie, et qui semble incarner dans les actes les idées qu'il incarne. Malheureusement, c'est trop souvent à propos de sujets graves qu'il s'exprime. Admiré par les uns qui regardent la lune qu'il pointe du doigt, conspué par les autres qui regardent le doigt et mesurent la longueur de ses cheveux, son dernier essai en date, L'hypothèse K. publié en octobre 2023 chez Grasset vise à remettre la science au milieu de la catastrophe écologique, dans une démarche autocritique plus que bienvenue. Avec un K comme Kassandre.

La science est théoriquement motivée par l'envie de satisfaire notre désir enfantin de comprendre le monde, de répondre aux pourquoi et comment, de rendre prévisible et contrôlable ce qui historiquement nous dépasse et nous rend vulnérables en tant qu'individus et en tant qu'espèce. Avec un K comme Konnaissance.

En ce sens, la science est une forme d'art bien particulière. Mais la réalité est bien différente. Les chercheurs comme tout un chacun doivent percevoir des salaires, les projets de recherche doivent être financés et les directeurs de recherche passent désormais plus de temps à courir les sponsors qu'à regarder leurs instruments de mesure et à faire des calculs. La recherche publique souffre historiquement d'une disette chronique et actuellement, ce qui fait la différence pour de nombreux chercheurs dans le monde, ce sont les financements privés et les motivations sont de facto tout autres. Le financement de la recherche est motivé par les possibilités d'exploitation commerciale des découvertes. "Qu'elle se l'avoue ou non, qu'elle l'assume ou le cache, l'histoire de la science est aussi celle d'une incontestable intimité entre savoir et pouvoir." La recherche n'est alors plus très différente de la prospection pétrolière et ce sont les entreprises de l'industrie lourde qui mènent la danse. Avec un K comme Kash et Kalash.

Ainsi, les chercheuses et les chercheurs se font les complices de ces industries dont on sait maintenant qu'elles sont les principales pourvoyeuses de la catastrophe écologique en cours, de l'effondrement de la diversité des espèces, de la destruction des habitats, des pollutions multiples. Du désenchantement dont nous sommes tous parties prenantes à nos corps plus ou moins défendants. De la "dépoétisation universelle". Car si la science peut répondre au pourquoi et au comment, elle n'est pas en position de décider ce qui est souhaitable du point de vue des choix de société. "Tout détruire et tout raser, exterminer les espèces, brûler les forêts et préparer les guerres ne constitue pas une erreur scientifique." Les projets de recherche sont financés en fonction de nos défis du moment, et doivent lister ce qu'il est attendu qu'elle produira. Une telle approche n'encourage pas l'interruption intellectuelle et ne peut pas accoucher de science révolutionnaire. Avec un K comme Kontinuité.

Habiter poétiquement la science serait en premier lieu la trahir. La fidélité à l'esprit original de la démarche scientifique l'exige. Un peu comme les institutions religieuses ont perdu la flamme de celles et ceux qui en ont posé les premières pierres jusqu'à la contradiction la plus totale. Il est donc nécessaire de trahir la trahison. De trahir de l'intérieur. Transformer les ducs d'Orléans en Philippe Égalité. Trahir, "c'est déjà sentir que certaines loyautés sont plus signifiantes que celles témoignées à sa corporation, à ses pairs ou à sa carrière." Quand les mathématiciens les plus brillants sont recrutés à prix d'or par les sociétés de trading pour améliorer les algorithmes de la spéculation la plus crasse, au lieu de renforcer les modélisations de la catastrophe écologique, il y a clairement un dévoiement. Un dévoiement qui s'est malheureusement répandu dans toutes les strates de la science, qui a métastasé et qui est en train d'anéantir le corps hôte dans un grand suicide collectif. Avec un K comme Kancer.

"They paved paradise to build up a parking lot". Les paroles désespérément joyeuses d'une des chansons de l'admirable Joni Mitchell résonnent tandis que je lis les phrases qui s'alignent pour former cet essai réussi. La science, désormais au service d'une technologie elle-même au service de la futilité, a besoin d'abstrait, de "ralentie", d'incertain et de sédition. Elle a besoin d'abandonner son costume prométhéen. De se faire "touareg ou tzigane, bohémienne de la vérité". De retrouver la transcendance originelle qui est sa véritable raison d'être. De retourner à l'émerveillement fondamental. Avec un K comme Kuriosité.

Celles et ceux qui me lisent savent que je m'intéresse particulièrement aux expériences de mort imminente et, de façon plus générale, aux expériences du domaine de l'anomalistique. Ce type de recherche porte en elle une puissance transformatrice digne de la découverte de l'énergie nucléaire, elle est le germe possible de la prochaine révolution copernicienne, la remise au coeur de nos préoccupations de vie de la transcendance. Or cette recherche fondamentale parce qu'elle touche au difficile problème de la conscience est essentiellement désargentée. La physique quantique qui décrit les lois des constituants les plus infimes de la matière porte un potentiel incroyable de transcendance. Or de quoi entend-on parler ? D'ordinateurs quantiques surpuissants capables de rendre les entreprises toujours plus productives et d'encryption pour sécuriser toujours plus les transactions financières et les communications de l'armée.  C'est à désespérer. A l'heure de la catastrophe globale, c'est d'une bombe nucléaire ontologique dont nous avons besoin pour faire chuter le Superman et l'Ironman de Jean-Marc Jancovici ! Avec un K comme Kryptonite.

Aurélien Barrau est une personnalité nécessaire comme il en existe peu. Il est une chance pour nos esprits en mal d'être dans ce monde mercantilisé. L'hypothèse K. est une lecture tout autant nécessaire, parce qu'elle sème des graines de prise de conscience, parce qu'elle élève, parce qu'elle a le potentiel de nous sortir la tête du guidon, de dévier la trajectoire du Titanic, de réinjecter du sens et de l'émerveillement à une vie envisagée comme purement fonctionnelle et divertissante, de nous faire sortir de notre caverne de Platon, de notre Brave New World, de remettre une majuscule au S de science. Cette même lettre qui ouvre le mot Sagesse.

Aurélien Barrau - L'hypothèse K.
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