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TélescoPages

Un espace dédié à la musique, à la littérature, à la science, à la conscience, et au-delà

Gaëlle Josse - Les heures silencieuses

Il est pour moi un mystère, celui de la genèse d'une oeuvre, cet instant où une création se met en mouvement dans l'esprit de son créateur ou de sa créatrice, ce moment où il se décide qu'un grain de sable particulier et pas un autre sera le support des superpositions de la nacre de l'artiste. Le premier roman de Gaëlle Josse, paru en 2011 aux éditions Autrement, une auteure alors éditée en tant que poétesse, s'intitule Les heures silencieuses. Son écriture part d'une toile du peintre hollandais Emanuel de Witte, Intérieur avec femme à l'épinette, une toile qui a la particularité de représenter une femme qui ne montre pas son visage, ce qui va généralement à l'encontre des pratiques du XVIIème siècle où les oeuvres peintes sont souvent des commandes de personnes aisées et ont une fonction liée à leur représentation dans l'échelle sociale. Cet anonymat recherché ouvre la porte à quantités de questions auxquelles l'écrivain va apporter des réponses romanesques, notamment sur les thématiques de l'amour, du désir, et de la place de la femme dans la société.

"Intérieur avec femme à l'épinette" d'Emanuel de Witte

Dans l'imagination de Gaëlle Josse, cette femme vue de dos s'appelle Magdalena van Beyeren. Elle est la fille d'un armateur aisé, administrateur de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales à Delft. Et à travers une épreuve majeure qu'elle subit à 36 ans - la perte d'un enfant en couches où elle manque de perdre la vie et suite à laquelle son mari Pieter décide de ne plus avoir de rapports charnels avec elle - elle commence à tenir un journal où l'on va découvrir son parcours, un secret d'enfance qui l'empoisonne, le rapport à son père, son ambition de prendre sa relève, contrariée malgré ses compétences indéniables du simple fait d'être née femme. Reléguée au rang de génitrice et d'assistante par son mari, passant ses trop plein émotionnels dans la pratique de la musique, une compétence qu'elle transmettra elle-même à ses filles, on voyage avec elle dans la bourgeoisie de l'époque qui ne préserve finalement que peu des rudesses de la vie, voire des traumatismes. On devine la force qu'il lui faut pour exister dans l'ombre de ce mari pourtant bienveillant, et pour se résigner à mener une vie domestique alors qu'elle avait tous les atouts nécessaires pour emplir son coeur d'aventures.

Dès cette première oeuvre romanesque, Gaëlle Josse impose un style d'une grande délicatesse, sa touche tout en subtilité et nous invite à explorer une sensibilité à travers un personnage de femme que l'on devine inspirée de sa personnalité propre. De façon générale, le roman tel que pratiqué par une poétesse, offre souvent une densité synergétique aux mots, un parfum presque. Ce sont là ses essentiels et on les retrouve dans le reste de ses oeuvres, du moins dans celles que j'ai lues jusqu'à présent. Des ingrédients de base d'une littérature qui me touche droit au coeur et que je retrouve également chez Ingrid Thobois ou chez Christian Bobin. Grande dans sa simplicité même !

Gaëlle Josse - Les heures silencieuses
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