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13 Avril 2025
Après avoir lu et apprécié l'auteure Céline Lapertot dans une fiction Ce qu'il nous faut de remords et d'espérance, et dans une autobiographie Ce qui est monstrueux est normal, j'ai eu envie de me plonger aux racines de son écriture, dans son tout premier roman Et je prendrai tout ce qu'il y a à prendre, publié en 2014 aux éditions Viviane Hamy. C'est un exercice que j'aime bien pratiquer chez les artistes que j'apprécie, toutes disciplines confondues. Et une fois n'est pas coutume, la valeur n'attend pas le nombre des années: le talent était bien présent dès le début et le mystère artistique reste entier !
Le roman met en scène une petite fille de sept ans, Charlotte, qui se voit du jour au lendemain privée par son père de l'accès à sa chambre pour être séquestrée dans la cave de la maison. Ce père cache une perversité violente sous un vernis d'affabilité et une maîtrise des codes sociaux qui fait de lui une personne tout à fait bien intégrée et appréciée de ses contemporains. Côté pile, cadre dans une bonne entreprise, il gagne bien sa vie, s'entretient physiquement en salle de sport, est propriétaire d'une maison dans un quartier résidentiel. Mais côté face, il distille la terreur dans son foyer en brutalisant sa femme et sa fille, à coups de poing, jusqu'au sang, et à coups de mots empoisonnés, au prétexte qu'il "faut tuer la vermine dès qu'elle apparaît !". Commence ainsi une claustration qui durera pratiquement une dizaine d'années et qui s'achèvera par un parricide (dévoilé dès les toutes premières pages).
L'emprise, d'abord physique et qui va jusqu'à l'enchaînement, devient très rapidement mentale. Les victimes ont ainsi maintes fois l'occasion de dénoncer les agissements de cet homme monstrueux, et pourtant, le secret reste bien gardé. Même quand les attitudes d'inadaptation de Charlotte éveillent les soupçons de certains enseignants et de la CPE, la camisole psychique prend le dessus. Quant à la mère, elle est passée définitivement dans le camp de la résignation, elle encaisse les coups, ne prend pas la défense de sa fille, est éteinte et apathique. Une morte vivante.
Charlotte n'est ainsi pas élevée par ses parents, mais par les livres, dans lesquels elle puise force et pulsion de vie, comme La religieuse de Diderot qui raconte également une histoire de claustration injuste et de révolte. Ces livres et l'absence de toute culture télévisuelle vont contribuer à faire d'elle une inadaptée sociale, une paria au collège et au lycée, et vont alimenter sa culture du silence. Elle s'installe dans l'isolement et retire même une certaine jouissance de ce secret bien gardé. En revanche, c'est à l'écrit qu'elle s'épanche et une partie du livre est une adresse au juge qui prononcera bientôt son délibéré face aux faits de parricide.
Ayant préalablement lu Ce qui est monstrueux est normal - dont le titre est une phrase du livre - je comprends que le lotus de la fiction trouve ses racines dans la boue de la réalité, du vécu de Céline Lapertot. Par le biais de l'écriture, elle fait de cette expérience douloureuse une force, un exemple qui illustre le fait que les bourreaux n'ont souvent que le pouvoir qu'on leur accorde, que chacun a des limites à l'inacceptable et qu'au-delà brûle le feu libérateur de la révolte, que les livres peuvent être de puissants auxiliaires de pulsion de vie. Tout au long de ce livre, j'ai pensé à Natascha Kampusch qui disait à son bourreau que l'un d'entre eux ne sortirait pas vivant de cette histoire. Et parfois, les chiens peuvent faire des chats: contrairement à leur mère, Charlotte et Céline Lapertot ont choisi la vie.
Pour un premier roman, c'est une réussite. Je ne suis pas étonné qu'il ait été directement édité chez Viviane Hamy. Par moments, j'ai pu ressentir quelques similitudes avec l'univers gothique et littéraire d'Amélie Nothomb. J'ai aussi repensé au glaçant et magitral Claustria de Régis Jauffret sur cette même thématique (affaire Fritzl). Un livre que j'ai lu en une traite et qui me donne envie de lire tout ce qu'il y a à lire de Céline Lapertot !
Et je prendrai tout ce qu'il y a à prendre
Prix coup de cœur de la 25e heure du livre du Mans 2014 Imaginez l'histoire d'une violence. Celle que fait subir un père à sa fille, honteuse, (...)